Résumé
L’article explique comment les chercheurs de l’IRHT, depuis longtemps intéressés par l’utilisation de l’informatique pour l’étude du manuscrit médiéval, ont rencontré les chercheurs en sciences dures du LIRIS, de l’ENST, du LIFO et ont mis au point le projet « Formes et couleurs des manuscrits médiévaux ».
À l’occasion du colloque conclusif du programme « Formes et couleurs des manuscrits médiévaux », il importe de revenir trois ans en arrière et même plus, sur sa genèse.
Ce programme a été l’occasion de la rencontre depuis très longtemps souhaitée entre l’Institut de recherche et d’histoire des textes, les chercheurs dans les disciplines les plus pointues du manuscrit médiéval (iconographie, paléographie, codicologie du manuscrit), les ingénieurs qui gèrent les images des manuscrits (filmothèque), les photographes qui sont en pointe du numérique (service photographie, images et medias) et les chercheurs des sciences dures en informatique et en reconnaissance du signal.
Cette rencontre était vivement souhaitée par les directeurs successifs du département des Sciences humaines et sociales du CNRS. Mais elle n’a pas été si facile à mettre en œuvre. Car ces rencontres sont, pour partie, le fruit du hasard. Il faut que les personnalités entrent en contact au bon moment.
Le projet « Formes et couleurs des manuscrits médiévaux : élaboration d’un outil », présenté dans le cadre de l’appel à proposition 2003 « Archivage et patrimoine documentaire. Apports des sciences de l’information et de la cognition » du programme interdisciplinaire « Société de l’information » et bénéficiant du soutien de l’ACI « Cognitique » du Ministère de la Recherche, a pris forme au bon moment.
Ce projet a commencé en septembre 2003. En février 2004 a eu lieu une réunion informelle, préparatoire au Colloque « Semaine du Numérique » qui s’est tenu à La Rochelle en juin 20041. Dans la salle de réunion de l’IRHT étaient rassemblés non seulement les partenaires officiels du projet (membres de l’IRHT, du LIRIS, de l’ENST, du LIFO et de la cellule recherche et développement de la société Archimed), mais aussi les représentants de la Direction du Livre et de la Lecture du Ministère de la Culture et de la Sous-Direction des Bibliothèques et de la Documentation du Ministère de l’Enseignement supérieur. Des conservateurs de bibliothèques étaient aussi présents, ceux de la Médiathèque de l’agglomération troyenne mais aussi la Bibliothèque municipale de Lille, dont le conservateur a lancé alors la liste de discussion Listnum.
Donc, une rencontre enfin de tous les partenaires intéressés aux problématiques de la recherche sur le thème « Formes et couleurs des manuscrits médiévaux ».
L’IRHT avait déjà une longue histoire dans le domaine de l’utilisation des sciences dures et notamment de la recherche en informatique appliquée à l’étude des manuscrits médiévaux2.
La section hébraïque, en la personne de Colette Sirat, avait déjà travaillé avec l’ENST sur la reconnaissance automatique des écritures dans les rouleaux de parchemin. Les travaux sur la définition chimique des couleurs des enluminures des manuscrits menés par Jean Vezin et Bernard Guineau (du laboratoire Ernest Babelon) dans les années quatre-vingt avaient aussi fortement intéressé la section d’iconographie. Lucie Fossier, membre fondateur de la revue Le Médiéviste et l’ordinateur, avait organisé de nombreux colloques sur le sujet, en lien avec le CRCDG (Centre de Recherche et de Conservation des Documents Graphiques) dirigé alors par Françoise Flieder3.
Mais les recherches en étaient restées souvent à l’état de problématiques, faute de financement lourd pour aller jusqu’à la réalisation d’outils facilement utilisables par les conservateurs de documents anciens et par les chercheurs. L’apparition du Web et la modification profonde que provoque l’Internet permettent aujourd’hui d’espérer qu’on disposera de réalisations concrètes qui aideront la recherche, la conservation et la mise à disposition des fonds patrimoniaux de manuscrits.
Lorsque nous avons proposé ce projet, nous avons mis en avant notre volonté de fabriquer des outils : pour reconnaître automatiquement la structure de la page, reconnaître automatiquement des formes non figuratives dans les manuscrits enluminés, reconnaître automatiquement des mains (pour les paléographes). L’ensemble de ces outils est destiné d’une part à la gestion de grandes bases de données de manuscrits mais aussi à faire avancer la recherche en permettant un jour de rassembler les familles de manuscrits grâce au traitement en masse des palettes de couleur du manuscrit médiéval. Ceci permettrait ainsi de repérer tel manuscrit portant le fameux et très spécifique vert de Clairvaux et des manuscrits cisterciens, perdu au fond d’une bibliothèque où l’on ne songerait pas à aller le chercher.
Pour élaborer de tels outils, il faut disposer de bases de données d’images de manuscrits. C’est parce que l’IRHT peut aujourd’hui proposer à la diffusion plus de 100 000 images d’enluminures, engrangées depuis les années quatre-vingt, que ce travail en commun est possible. La numérisation des reproductions de manuscrits microfilmés devrait permettre aussi d’élargir le champ de la recherche.
Le projet a aussi des retombées pratiques sur le travail quotidien des services de l’IRHT qui repèrent, photographient, indexent des manuscrits médiévaux et mettent à disposition cette documentation. Le projet comprend en effet une veille sur la pérennité des supports d’archivage des fichiers numériques. La nécessité de disposer de fichiers utilisables par les informaticiens implique aussi que la numérisation des manuscrits soit réalisée en haute définition et que les fichiers bruts soient conservés avant leur mise en ligne sous forme compressée4.
L’IRHT n’est pas le seul organisme à travailler sur ces sujets. Pour ne donner qu’un exemple d’un laboratoire voisin, le CESR5 de Tours mène un travail remarquable sur la reconnaissance automatique des imprimés anciens et diffuse des données sur la musique médiévale très intéressantes. Le CESCM6 de Poitiers travaille sur des problématiques similaires aux nôtres, remplaçant simplement le manuscrit enluminé par la fresque. Des réalisations par des bibliothèques étrangères sont en cours. Il faut espérer que le travail fait au niveau régional ou national puisse prendre une plus grande ampleur au niveau européen et mondial7. Le projet « Formes et couleurs des manuscrits médiévaux » n’est qu’une pierre dans l’édifice qui mettra à disposition sur internet le patrimoine mondial, et notamment l’ensemble des manuscrits médiévaux conservés dans toutes les bibliothèques de l’univers.