Plan de l’article
Introduction
Dans l’abondante documentation disponible pour étudier les campagnes médiévales et modernes, les comptabilités seigneuriales fournissent aux historiens des informations d’une quantité et d’une qualité souvent exceptionnelles. Que connaîtrait-on, par exemple, des espaces ruraux du Haut Moyen Âge sans l’éclairage foisonnant des polyptyques carolingiens ? De même, on ne soulignera jamais assez la dette de l’historiographie britannique vis-à-vis d’un document aussi extraordinaire que le Domesday Book. Ces sources, quelle que soit leur ampleur, correspondent toujours à des inventaires dressés par les seigneurs fonciers soucieux de gérer au mieux un patrimoine. Rédigés par les agents seigneuriaux, les polyptyques, censiers, terriers, compoix… résultent toujours d’une enquête réalisée préalablement auprès d’une population pour coucher par écrit l’ensemble des terres, des revenus et des droits que possède un seigneur. Dans le courant des xie- xiiie siècles, la rente de nombreux lignages est menacée par une lente dévaluation des cens pesant sur les exploitations paysannes. Dans le même temps, dans un contexte de profonde mutation des tenures qui tendent à devenir héréditaires et aliénables, les exploitations paysannes s’émiettent progressivement, rendant la perception des redevances foncières de plus en plus ardue ; combien de parcelles, isolées et éloignées, furent oubliées des percepteurs et se muèrent ainsi subrepticement en alleux ? C’est souvent pour se protéger de cette menace que furent rédigés les inventaires qui énumèrent, avec plus ou moins de détails et selon des organisations très variées, les revenus seigneuriaux. Dans un souci de plus grande efficacité, certains seigneurs souhaitent donner à ces documents administratifs un caractère officiel et public, en vue d’une éventuelle utilisation devant un tribunal. Le développement du notariat à la fin du Moyen Âge donne lieu à l’émergence du terrier, dont l’élaboration résulte d’une enquête minutieuse des notaires auprès des tenanciers qui passent des « aveux et dénombrements ». Dès cette époque, les sources tendent à localiser précisément les biens inventoriés : les tenanciers décrivent fréquemment leur tenure parcelle par parcelle ; la description des confronts se généralise ; au xvie siècle (exceptionnellement au xve siècle) apparaissent les premiers schémas parcellaires qui préfigurent les plans terriers de la période moderne et, par-delà, les cadastres contemporains. Au xviie siècle, et surtout au xviiie siècle, se multiplient les terriers, désormais accompagnés de magnifiques plans parcellaires qui localisent précisément les parcelles déclarées par les tenanciers. Il convient donc de souligner, préalablement à toute considération sur l’utilisation des SIG appliquée à l’analyse des inventaires fonciers médiévaux, que la dimension spatiale devient une donnée essentielle de ces sources à partir de la fin du Moyen Âge.
Cette documentation administrative livre une information de grande qualité qui touche d’innombrables sujets. L’historien tenté par l’analyse sociologique d’une communauté paysanne fera ses choux gras d’une étude attentive des anthroponymes, des titres utilisés pour désigner les tenanciers, des activités professionnelles déclarées, des liens familiaux, de l’étendue des terres cultivées, d’une quantification de la présence des forains… Les terriers et censiers livrent aussi couramment des indices utiles pour la connaissance de la structuration des terroirs (organisation du prélèvement seigneurial, répartition des parcelles des tenures, utilisation des terres agricoles, répartition du peuplement, distribution de la propriété foraine au sein d’un terroir, réseau des chemins, mentions des unités d’assolement, découpage de l’espace au travers de l’usage des microtoponymes…). Précisons toutefois que cette information présente des aspects très variés selon les documents consultés. Mais toujours, l’intérêt majeur des censiers et terriers réside dans l’organisation du document qui prend généralement la forme de listes de noms et/ou de terres pour lesquelles l’enquêteur précise à chaque fois le montant de la redevance à verser. Ces longues listes, monotones et arides, offrent des séries qui se prêtent particulièrement bien à des traitements statistiques. Pourtant le foisonnement de l’information et l’ampleur du travail nécessaire pour traiter des séries qui peuvent comporter plusieurs milliers d’items ont souvent découragé les meilleures volontés, jusqu’à ce que l’outil informatique offre aux chercheurs la possibilité d’automatiser le traitement des données. Dès les années 1970 ont été lancées les premières études systématiques à l’aide de bases de données informatisées1. Cependant, jusqu’à ces dix dernières années, les systèmes de base de données utilisés par les historiens ne permettaient pas d’intégrer efficacement la dimension spatiale. Il a résulté de cette carence technique une sous-exploitation générale des plans terriers dont Marc Bloch soulignait, dès 1929, la richesse potentielle : « Car les plans parcellaires, comme tous les documents, ne demeurent monotones et exsangues que jusqu’au jour où le coup de baguette de l’intuition historique leur a rendu une âme. En leurs traits figés, une vie mouvante, pleine de travaux et d’aventures, s’est inscrite et se révèle, toute chaude, à qui a l’art de les saisir : la vie rurale dans ses péripéties et l’infini de ses variétés régionales… ». Et Marc Bloch précise plus loin : « …le plan parcellaire se place au début et à la fin de l’étude agraire : au début comme instrument d’investigation, un des plus pratiques et des plus sûrs qui soient ; à la fin — une fois bien connue et bien comprise la petite société dont le terroir est la carapace — comme la plus immédiatement sensible des réalités sociales profondes »2. En rendant aux témoignages des paysans leur dimension spatiale inscrite dans les plans parcellaires, les Systèmes d’Information Géographique (SIG) offrent les moyens techniques de découvrir les « péripéties » de la vie rurale, cette « vie mouvante » inscrite en filigrane dans les terriers et les plans qui les accompagnent. Toutefois, il serait naïf de considérer le SIG comme une « baguette magique » providentielle, dans la mesure où l’efficacité de son utilisation dépend de la réalisation d’une base de données structurée par les questionnements particuliers du chercheur, cette « intuition historique » évoquée par Marc Bloch.
Une problématique agraire
Le travail part d’un constat très simple. Les descriptions parcelle par parcelle, enregistrées par le notaire dans un terrier, résultent régulièrement du témoignage des paysans qui possèdent et/ou exploitent ces terres3. Ces dépositions enregistrent par conséquent la manière dont des paysans, qui exploitent quotidiennement les terres environnantes, perçoivent le territoire dans lequel ils se meuvent quotidiennement. La distribution spatiale des parcelles des propriétés et des exploitations, mais aussi des micro-toponymes…, précisément enregistrée par un plan parcellaire, permet d’aborder le fonctionnement d’un système agraire par le biais d’une analyse spatiale. De nombreuses questions peuvent être abordées :
- Répartition de l’utilisation des terres au sein du terroir (bâti, emblavures, jardins, vignes, bois…)
- Structure spatiale de la propriété et de l’exploitation agricole (phénomène de regroupement ou d’éclatement…)
- Structure générale et fonctionnement de l’assolement
- Répartition de la propriété et de l’exploitation foraine au sein d’un terroir villageois : le terroir d’exploitation contrôlé par une communauté paysanne correspond-il au territoire paroissial ? Existe-t-il des zones dont le rattachement à une communauté paysanne n’est pas clair ? Existe-t-il des pratiques intercommunautaires ?
- Répartition de la propriété et de l’exploitation des habitants en fonction de leur lieu de résidence : dans le cadre d’une relative dispersion du peuplement paroissial au sein de plusieurs agglomérations (centre paroissial/hameaux), le territoire paroissial est-il fragmenté en plusieurs terroirs d’exploitation ?
- Formes éventuelles d’exploitation collective : rôle du voisinage ? Associations culturales privilégiées entre certains exploitants au sein de la communauté ?
C’est selon une problématique agraire, dans le cadre d’une analyse régressive de la documentation, qu’ont été analysés un terrier de 1696 et le plan parcellaire qui l’accompagne4.
Une source
Le finage communal et paroissial de Toury5 a été sélectionné comme fenêtre d’étude ; cette paroisse bénéficie en effet d’une série tout à fait exceptionnelle de terriers qui embrasse l’ensemble de la période moderne : terriers de l’année 15436, 16017, 16698 et 1696. Cette série est relayée, au Bas Moyen Âge, par l’existence de plusieurs censiers extrêmement intéressants dont les confections s’échelonnent entre 1382 et 14719. Sur cinq siècles, la rédaction et la conservation de cette série comptable remarquable, qui concerne exclusivement l’administration de la prévôté/châtellenie de Toury, rendent possible une étude diachronique des conditions de permanence et de mutation des divers rouages d’un système agraire.
Concernant la période moderne, le terrier confectionné en 1696 est apparu très vite comme une source extraordinaire pour décrire l’organisation d’un espace agraire. Sa rédaction fut une entreprise considérable, réalisée sur plusieurs années dans le but d’inventorier systématiquement l’ensemble des domaines de la mense de l’abbé commendataire de Saint-Denis. L’opération fut mise en œuvre sur l’ordre de Louis XIV, dans le contexte d’un transfert massif de l’ensemble des revenus abbatiaux san-dionysiens en faveur de l’établissement de Saint-Cyr nouvellement fondé par Mme de Maintenon, avec la bénédiction royale. Dans cette circonstance, les domaines de Saint-Denis ont été systématiquement recensés10. Plusieurs documents, d’une qualité et d’une ampleur exceptionnelles, complémentaires les uns par rapport aux autres, furent réalisés pour aider cette vaste translation de propriétés :
- un plan terrier, en 29 sections, très soigneusement réalisé par un professionnel, maître Altin Fleury, arpenteur ordinaire des Eaux et Forêts du duc d’Orléans, recense cartographiquement la censive de Saint-Denis. Ce document planimétrique existe sous trois formes différentes. D’une part les Archives nationales conservent un jeu de plans sous forme de feuilles11. D’autre part deux autres exemplaires, reliés dans deux registres, sont exposés sous vitrine aux archives municipales de Toury12.
AN. N III Eure-et-Loir 19
- un terrier en deux volumes épais et lourds, conservé aux archives départementales des Yvelines13, compile les déclarations que chaque tenancier a effectuées devant notaire. Ce terrier, qui porte toutes les garanties officielles, est assurément le document le plus complet, le plus soigneusement rédigé et le plus intéressant de toute la série ; il constitue la base de l’étude qui suit.
- enfin, les archives communales de Toury conservent sous vitrine, dans l’entrée de la mairie, un épais registre qui s’apparente à un procès-verbal de dépouillement du terrier14.
Ce volume, rédigé par l’arpenteur, renferme les informations issues des aveux des tenanciers (sous forme très abrégée) rangées selon un classement géographique, c’est-à-dire par ordre des sections du plan terrier, puis, au sein de chaque section, par ordre des parcelles ; en tête de chaque chapitre figure la copie de la section du plan auquel se rapporte le chapitre. Cet ouvrage, qui ne porte aucune marque officielle, correspond donc à un travail d’élaboration des informations brutes contenues dans le terrier actuellement conservé à Versailles.
La répartition du dossier entre les archives départementales des Yvelines et les archives communales de Toury témoigne de l’utilisation qui fut envisagée pour chacun de ces exemplaires de terriers et plans terriers. Le document conservé aux archives départementales des Yvelines était destiné à être archivé à Saint-Cyr, en vue d’une consultation épisodique. L’exemplaire de Toury, moins complet mais plus léger et d’une organisation plus pratique pour la consultation, était laissé entre les mains du receveur des Dames de Saint-Cyr à Toury en vue d’une utilisation courante pour l’administration de la seigneurie.
Les deux gros volumes (886 folios rédigés) conservés aux Archives départementales des Yvelines compilent les copies des 380 aveux et dénombrements déposés par l’ensemble des personnes et institutions tenant des terres dans la censive de Saint-Denis à Toury. Chaque déclaration a été établie selon une norme à peu près intangible. Après les déclarations et formules d’usage (identité, titre, activité professionnelle, lieu de résidence, filiation…), le déclarant (ou son « procureur », c’est-à-dire son représentant) établit la liste exhaustive des parcelles tenues à cens de Saint-Denis en suivant l’ordre des sections numérotées du plan, de la section 1 à la section 29 ; dans la marge, une main a inscrit systématiquement les numéros pour chacune de ces parcelles par rapport au plan terrier. Chaque parcelle est ensuite décrite par le menu : superficie, utilisation de la parcelle (terre labourable, bâti, ruine, place, vigne, jardin, verger, friche, bois, pré…), clôture éventuelle, localisation plus ou moins précise par des microtoponymes, confronts, éventuelles précisions sur l’origine de l’acquisition de la parcelle ou sa situation juridique (achat, échange, héritage, indivision…)… À la suite de cette déclaration exhaustive, le notaire récapitule la superficie totale détenue par le déclarant (sans toutefois prendre en compte les parcelles des agglomérations), et la somme globale des cens et dîmes à verser en conséquence. Enfin viennent des clauses diverses et variées, souvent répétitives d’une déclaration à l’autre.
L’examen minutieux du terrier a mis en évidence un certain nombre d’erreurs du scribe. La plupart du temps, les incertitudes ou incohérences apparentes correspondent clairement à des fautes d’inattention, inhérentes à la nature même du travail colossal et fastidieux que les notaires ont réalisé (des milliers de parcelles, des centaines de personnes, des copies multiples des déclarations…). Un certain nombre de fautes ont d’ailleurs été corrigées par un autre scribe (main et encre différentes). Comparativement à la masse d’informations brassées, ces erreurs, quantitativement négligeables, ne sont pas susceptibles d’affecter les analyses et les interprétations tirées du document.
Une base de données géo-référencées
Ce terrier sort clairement de l’ordinaire à la fois par le soin et l’attention qui ont présidé à sa conception et à sa réalisation, mais aussi par son ampleur et sa richesse exceptionnelles sur le plan documentaire15. En effet, avec ses 380 déclarations et ses quelque 5500 parcelles décrites et parfaitement localisées dans l’espace paroissial, c’est la quasi-totalité du territoire de Toury qui est présentée, grâce aux témoignages des propriétaires et des exploitants.
Plan terrier assemblé (AN. N III Eure-et-Loir 19)
Le terrier permet donc de reconstituer la structure foncière de Toury en 1696 pour 95,49 % du territoire paroissial. Les 4,5 % manquants (80 ha) correspondent à des terres non déclarées, parce qu’elles ne doivent verser aucune redevance foncière ; ainsi l’église paroissiale de Toury, le cimetière, des terres qui appartiennent en propre aux dames de Saint-Cyr, à la réserve de Saint-Denis, ou encore des terres qui dépendent de la « châtellenie de Toury » (le château lui-même par exemple), mais aussi les routes… ne figurent pas dans l’inventaire des parcelles16. Il convient toutefois de remarquer que ces diverses parcelles non déclarées dans le terrier ne constituent pas un ensemble compact dans le finage ; il s’agit toujours de petites parcelles dispersées. En outre, le recomptage systématique des superficies déclarées ne permet pas d’arriver aux 1 694 ha théoriques mentionnés par le scribe dans la préface du terrier, mais à 1 690,09 ha, soit une faible marge de 3,91 ha, parfaitement négligeable par rapport à l’ensemble (0,24 % seulement). Cette marge résulte sans doute des imprécisions et des erreurs du scribe17. La base contient en particulier 88 parcelles « fantômes », c’est-à-dire des pièces de terre absentes des déclarations, mais pourtant mentionnées subrepticement dans les confronts ; pour ces parcelles, on ne dispose d’aucune superficie. Globalement il s’agit d’une source d’erreur assez négligeable (88 parcelles sur 5284, soit une proportion de 1,66 %). Relativement à chaque déclaration, l’oubli d’une parcelle ne change pas les conclusions auxquelles nous arrivons.
Le caractère systématique de l’enquête menée en 1696 rend possible le classement des informations dans une base de données18. Ces informations ont été réparties selon 3 thèmes fondamentaux qui constituent les axes de la recherche : les parcelles, les propriétaires et les exploitants. C’est cette répartition qui prévaut dans l’architecture de la base de données, organisée selon 3 tables : « Parcelles » rassemble l’ensemble des informations sur les parcelles proprement dites, « Propriétaires » les renseignements sur les tenanciers, « Métairies » les informations relatives aux exploitations (généralement repérables dans le terrier par la désignation « métairie »). La table « Parcelles » est au cœur de l’architecture de la base, dans la mesure où elle est reliée d’une part à la table « Propriétaires », d’autre part à la table « Métairies ». Chaque parcelle étant repérée géographiquement grâce au plan terrier, il est possible de faire passer cette base de données dans un SIG, de manière à visualiser cartographiquement le résultat des requêtes.
1 — La table des parcelles (« Parcelles »)
La table intitulée « Parcelles » enregistre l’ensemble des informations sur les parcelles proprement dites. Chaque enregistrement correspond à une parcelle déclarée, déterminée par un code unique et obligatoire (« Codeparcelle ») qui respecte le système de repérage utilisé par l’arpenteur en 1696 ; ce codage, indispensable pour faire le lien avec la base cartographique du SIG, doit être mené très rigoureusement. Le premier élément de ce code désigne le n° de la section du plan terrier (de 1 à 29) dans lequel est installée la parcelle (« Numplan ») ; pour les sections II, 3, 4 et 5 qui ont été divisées par l’arpenteur en sous-sections désignées par des lettres, on ajoute cette lettre (« Numsousplan »). Le second élément de ce code est un nombre désignant le n° de la parcelle dans la section du plan terrier (« Numparcelle »). Un point (.) est utilisé pour séparer ces deux nombres.
- Ex. La parcelle 103 de la section XIV du plan terrier est codée : 14.103
Lorsqu’une parcelle est détenue en indivision entre plusieurs tenanciers, le champ « Divisionparcelle » indique le nombre de tenanciers qui se partagent la parcelle indivise, tandis que la parcelle est enregistrée en autant de fois qu’il y a de divisions en ajoutant un suffixe numéroté qui personnalise chaque enregistrement, séparé du reste du code par un point (.).
- Ex. La parcelle 6.34 (c’est-à-dire la parcelle 34 de la section VI du plan terrier) est tenue en indivision par 4 tenanciers ; cette situation aboutit de fait à 4 enregistrements « 6.34 » distingués de la manière suivante : 6.34.1, 6.34.2, 6.34.3, 6.34.4.
Au total, la table « parcelle » comporte 5514 enregistrements19.
Sont associées à chaque enregistrement des informations diverses consignées dans les déclarations des tenanciers :
- la superficie de la parcelle, convertie en système métrique.
- l’utilisation qui est faite de la parcelle (champ « Utilisation », avec un système de code chiffré selon chaque type d’utilisation : bâti, vigne, jardin, emblavure…)
- une éventuelle clôture (« Clôture », avec un système de code chiffré selon la nature de la clôture : haie vive, fossé, mur, mur et fossé…).
- le système de localisation de la parcelle dans le terroir, finement décortiqué grâce à 12 champs.
- Parfois, le tenancier localise la parcelle en l’installant dans 2 aires microtoponymiques (par exemple « [au champtier de la lampe] [vers Germonville] ») ; c’est la raison pour laquelle il faut distinguer un premier système de localisation (1 = [au champtier de la lampe]) d’un second (2 = [vers Germonville]).
- Chaque localisation correspond à un microtoponyme (« Nomlieu »), parfois complété par une précision (par exemple l’aire microtoponyme du « frou » est partagée entre le « petit frou » et le « grand frou ») ; les champs « lieuprécis » répertorient ces précisions topographiques (haut/bas, petit/grand…).
- Les mentions « champtier » ou « réage » sont précieusement recueillies, dans le but d’étudier le fonctionnement pratique de l’assolement.
- Les champs « placementlieu » enregistrent la situation exacte de la parcelle au sein de l’aire toponymique (à/au/aux, près de, vers, dans, sur, derrière…).
- Il faut aussi prendre en compte les localisations par rapport à des chemins : « Nomroute 1 » (« de Paris », « de Janville »…), « Typeroute 1 » (chemin, sentier, rue, chemin pavé…), « Placementroute 1 » (sur, vers, près de, traversé par…). Le champ « Nomroute 2 » permet de prendre en compte les localisations du type « …entre le chemin 1 et la route 2… ».
- Le champ « Sommières » repère les mentions de crêtes de labour dans les confronts de la parcelle.
- Le champ « Microtoponymes » enregistre les noms attachés à certaines parcelles dans le terroir (« les 10 perches », « la grenouillère »…)
La table « Parcelles » contient par ailleurs 2 champs fondamentaux pour la structure d’ensemble de la base. Le « Codepropriétaire » enregistre systématiquement le tenancier qui déclare la parcelle ; le « Codemétairie » enregistre la personne qui exploite la parcelle. Ces deux codes numériques permettent de relier la table « Parcelles » aux tables « Métairies » et « Propriétés ».
2 – La table des propriétaires (« Propriétaires »)
Cette table enregistre spécifiquement les informations concernant les propriétaires qui détiennent des parcelles au sein de la paroisse de Toury. On trouve les champs suivants :
- Nom et prénom du propriétaire (« Nompropriétaire1 » et « Prénompropriétaire1 ») et de son conjoint (« Nompropriétaire2 » et « Prénompropriétaire2 »), ainsi que son activité professionnelle (« Activitépropriétaire1 » et « Activité propriétaire2 ») et éventuellement le titre qu’on lui donne (tels qu’ils apparaissent dans le document)
- Le « codeactivité » (code chiffré selon quelques rubriques : noblesse, métier agricole, artisans, « bourgeoisie », clergé).
- La résidence de chaque tenancier, avec une double précision essentielle : la paroisse de résidence (« Paroissepropriétaire ») et l’agglomération (village paroissial ou hameau) dans laquelle le propriétaire réside (« Agglopropriétaire »).
Chaque tenancier qui établit une déclaration est identifié par un code unique et obligatoire (« Codepropriétaire »). Pour les 88 parcelles « fantômes » (pour lesquelles on ignore le propriétaire), un enregistrement spécifique (1000) a été créé qui correspond à la mention « propriétaire inconnu ». Au total, cette table compte 381 enregistrements.
3 – La table des exploitations (« Métairies »)
En Beauce, les fermes sont nommées « métairies ». Elles transcendent la propriété. Ainsi les terres d’une métairie peuvent être tenues en indivision par plusieurs propriétaires (jusqu’à 16 pour la métairie du Pavillon à Toury en 1696 !). A contrario, un seul propriétaire peut être à la tête de plusieurs métairies (comme c’est le cas du sire Gallard de Courances qui en détient 4 à Toury en 1696). Métairies et propriétés étant des réalités très différentes, il a fallu créer une table spécifique pour traiter les informations concernant les problèmes de l’exploitation, telles qu’elles apparaissent dans le terrier. Chaque exploitation repérée dans le terrier s’est vue attribuer un code (« Codemétairie ») dont l’enregistrement est unique et obligatoire. Pour chaque enregistrement sont précisées les informations suivantes :
- le nom de l’exploitation (« Nommétairie »)
- la paroisse dans laquelle est situé le centre de l’exploitation (« Paroissemétairie »)
- l’agglomération (village paroissial ou hameau) dans laquelle se trouve le centre de l’exploitation (« Agglométairie »)
La table « Métairies » recense 48 exploitations qui concernent environ un tiers des parcelles. Pour les deux autres tiers des parcelles, les déclarations consignées dans le terrier ne précisent pas l’identité de l’exploitant ; un code spécifique (1000) a été créé qui correspond à la mention « exploitant inconnu ». Au total, cette table contient 49 enregistrements.
Grâce au plan terrier, chaque information saisie dans cette base est rattachée à une parcelle enregistrée sous un code unique, clairement localisée dans l’espace paroissial de Toury. L’analyse géographique de cette base de données nécessite une numérisation des parcelles du plan terrier pour installer chaque information saisie dans un espace géographique référencé : c’est la phase du « géocodage »20. En pratique, plusieurs étapes sont nécessaires :
- En premier lieu, il faut assembler les sections du plan terrier. Les imprécisions de l’arpentage, les déformations inhérentes à la reprographie de chaque section du plan terrier… ne permettent pas d’ajuster précisément les sections ; il existe nécessairement des raccords défectueux qu’il faut s’efforcer de réduire au maximum. L’assemblage final doit ensuite être réduit de manière à pouvoir entrer dans un scanner.
- Le scan du plan remonté (image « raster » inanimée) est importé dans le SIG et installé dans un système de référencement géographique (Lambert II) grâce au report des coordonnées de quelques points remarquables récupérées sur la carte IGN au 1/25000e. Ce référencement géographique offre la possibilité d’enrichir ultérieurement la base en important des données issues des cadastres, des cartes anciennes (Cassini, État major…) et actuelles (routes, topographie…), des cartes géologiques, pédologiques, hydrographiques...
- Après avoir installé le plan terrier dans un espace géographique référencé, chaque parcelle doit être redessinée une à une (à l’aide d’une tablette graphique ou des outils de dessin du SIG) sous forme de polygones fermés. Chaque polygone se voit attribuer le « Codeparcelle » (unique pour chaque polygone) qui correspond à l’enregistrement sous lequel sont saisies toutes les informations qui concernent cette parcelle dans le terrier.
- À l’issue de ce fastidieux travail de saisie cartographique, la base de données peut être importée dans le SIG en vue de son exploitation géographique.
Bilan
Le travail de saisie fut très long (plusieurs mois). Mais la puissance d’analyse (interrogations croisées sur plusieurs éléments) et la rapidité de l’affichage des résultats justifient pleinement cet investissement. En effet, les interrogations ont pu être multipliées, ce qui a permis de mettre en évidence de nombreux phénomènes, imperceptibles sans une visualisation cartographique. L’expérience a montré que le recours à cette technique a plusieurs avantages. D’une part toutes les pistes envisageables ont pu être explorées ; sans le recours au SIG, la plupart des interrogations seraient restées sans réponse à cause de la masse d’informations à traiter par le biais de la cartographie. L’automatisation du traitement des données permet d’exploiter le document dans toute sa richesse informative. D’autre part la démonstration générale a été singulièrement renforcée, dans la mesure où le SIG, sans être un logiciel de cartographie, offre quelques outils qui permettent de confectionner cartes et plans indispensables à la démonstration. Mais surtout, la problématique de départ fut grandement enrichie, dans la mesure où des découvertes fortuites ont orienté la réflexion sur des pistes inattendues. Dans le cas présent, c’est la répartition géographique des phénomènes (que seule la cartographie rend possible) qui est porteuse d’une dynamique de recherche (prise en compte des facteurs de la distance, de l’entraide et du voisinage dans les champs, des phénomènes de dispersion/concentration, de territorialisation…)21.
De fait, les SIG livrent aux historiens modernistes la possibilité d’étudier minutieusement le fonctionnement des campagnes d’Ancien Régime en plaçant l’analyse des systèmes agraires à une échelle très fine : celle du terroir d’exploitation, c’est-à-dire l’univers quotidien des exploitants. Les paysans circulent, parcourent le territoire de parcelle en parcelle, délimitent l’espace par des repères toponymiques, bâtissent leur exploitation par des cessions et des acquisitions de terre (achats, ventes, locations, échanges). Cette activité grouillante et ininterrompue résulte de choix, de stratégies individuelles ou collectives dont les déclarations témoignent involontairement. Mais ces témoignages ne se lisent aisément qu’à travers le filtre de la carte. Le SIG, qui élabore des cartes à partir des déclarations, restitue la source écrite sous une forme graphique qui permet d’appréhender les comportements des exploitants dans leur dimension spatiale. De fait, cette micro-analyse, géographique autant qu’historique, débouche sur une approche cognitive du terroir d’exploitation. Le travail de cartographie des propriétés et des exploitations permet en effet d’aborder l’organisation des terroirs de manière anthropologique, mettant en évidence la réalité des comportements face aux discours officiels normatifs, sur lesquels se fondent généralement les études rurales. Là se trouve sans doute l’enjeu essentiel de l’utilisation des SIG appliqué aux terriers et censiers. La multiplication des micro-analyses menées sur des terroirs dans diverses régions devrait sans doute déboucher sur une remise en question du classement typologique traditionnel des « régimes agraires », notamment l’opposition classique entre openfield et bocage, sur lequel un consensus s’est pourtant largement dégagé depuis les travaux de Marc Bloch (1931) et de Roger Dion (1934).
Dans le cadre d’une remise en question des cadres d’analyse traditionnels des organisations territoriales agraires, l’historien médiéviste doit plus que jamais intégrer l’analyse de ses sources dans un processus à la fois régressif et micro-analytique. De nombreux dossiers s’y prêtent, à l’instar des fonds de Saint-Denis ou encore de la châtellenie de Lamballe (Côte-d’Armor), qui dispose pour la période moderne d’un dossier de terriers et plans-terriers du xviiie siècle d’une grande qualité, cartographiant et décrivant par le menu l’ensemble des terres de 17 paroisses du duché de Penthièvre réparties autour de Lamballe22. Pour le Bas Moyen Âge, la châtellenie de Lamballe dispose aussi d’un dossier de comptes qui s’étalent de 1387 à 1482, dont la richesse a été montrée par Monique Chauvin23 ; on retrouve les comptes pour 12 paroisses cartographiées au xviiie siècle : Erquy, Pléneuf, Morieux, Hillion, Saint-Aaron, Andel, Meslin, Noyal, Landehen, Plestan, La Malhoure et Saint-Glen.
Bibliographie
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Marc Bloch, « Les plans parcellaires », Annales d’histoire économique et sociale, 1, 1929, p. 61-62.
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Samuel Leturcq, « La macro-analyse des structures agraires à l’épreuve de la micro-analyse d’un terroir. Contraintes communautaires et individualisme agraire dans un finage beauceron (xviie-xxe siècle) », Les petits cahiers d’Anatole, 14, 2004. [En ligne] http://www.univ-tours.fr/lat/pdf/F2_14.pdf
Lucette Peter, Le temporel de la communauté des dames de Saint-Cyr, 1686-1789. Thèse 3e cycle d’histoire, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 1975.
Monique Zerner, Le cadastre, le pouvoir et la terre. Le Comtat Venaissin au début du xve siècle, Thèse, Paris, 1993 (Bulletin de l’École française de Rome, 174).