Résumé
Une série de plans terriers, dressés pour la seigneurie de Sancergues (Cher) en 1723, permettent de restituer un état du paysage au début du xviiie siècle. Ces plans peuvent être intégrés au Système d’Information Géographique et superposés aux planches cadastrales levées en 1829. Il est alors possible d’étudier les modalités d’évolution de l’occupation du sol sur un temps court. Pour dépasser une mesure globale de l’évolution des masses de culture, il a été procédé à une analyse par maille grâce aux potentialités du SIG. Ce traitement permet de pallier les variations intervenues dans la morphologie du parcellaire (qui interdisent une comparaison parcelle par parcelle), de localiser les zones de changements dans l’occupation du sol et de mesurer l’intensité de ces évolutions.
Table de l’article
Introduction
Les études récentes portant sur l’évolution du paysage ont mis en évidence les variations de l’occupation du sol depuis la Préhistoire récente et le rôle croissant des sociétés humaines dans ces changements. Faisant volontiers appel aux données naturalistes dont les échelles temporelles de lecture sont au mieux de plusieurs siècles, ces travaux ont documenté les évolutions sur le temps long, mettant en lumière l’emprise croissante des espaces cultivés sur les espaces boisés. Ce tableau général peut cependant être nuancé. De même que le changement d’échelle spatiale et la focalisation sur un espace restreint permettent un enrichissement de l’éventail des possibles (Revel 1996, p. 22), de même la focalisation sur un laps de temps réduit peut donner à voir les oscillations de l’aménagement de l’espace qui sont souvent lissées par l’observation sur le temps long. Il s’agit de relativiser un schéma linéaire dont le pas de temps est généralement pluriséculaire.
Dans le cadre d’une recherche doctorale en cours (Poirier 2003) portant précisément sur la construction de l’espace d’une microrégion berrichonne (Figure 1, PDF, 107ko), j’ai été amené à exploiter une série de plans terriers dressés au début du xviiie siècle. La seigneurie de Sancergues, située à l’extrémité est de l’actuel département du Cher, a fait l’objet d’une description planimétrique exhaustive en 1723, à l’occasion de la confection d’un terrier. L’intégration de ces informations au sein d’un Système d’Information Géographique (SIG) permet une comparaison instantanée entre le paysage du début du xviiie s. et celui décrit un siècle plus tard à l’occasion de la levée du premier cadastre (en 1829), favorisant ainsi la mesure des rythmes de transformation du paysage sur un temps court.
I. Terriers et cadastre : deux modes de cartographie différents
Les plans terriers (1723)
La seigneurie de Sancergues est un fief du comté de Sancerre. On trouve à partir du xiie s. des mentions des seigneurs de Sancergues, cités à titre de témoins à l’occasion de donations faites à l’abbaye cistercienne de Fontmorigny (Huchet 1936). En 1661, la châtellenie de Sancergues, alors possédée par Léonard d’Estrappes archevêque d’Auch, est érigée en marquisat. En 1717, elle passe à Charles Bonaventure Quentin de Richebourg, conseiller du roi. Il obtient en sa faveur la confirmation de l’érection de la seigneurie en marquisat. C’est lui qui est à l’initiative de la confection du registre terrier de 1722 et des plans associés.
Cette série de plans, classés à la cote E162 aux Archives Départementales du Cher, couvre l’ensemble des possessions du marquisat de Sancergues (Figure 2). L’intégralité de la seigneurie est ainsi documentée, sous la forme de 67 plans dont la plupart ont un format de l’ordre de 50 x 70 cm. D’après les mentions portées sur ces plans et les références répétées au « nouveau terrier de 1722 », on peut estimer que ces dessins ont été réalisés de façon concomitante à la rédaction du registre terrier, ou immédiatement après.
Ces plans décrivent les terres, bois, villages, hameaux et écarts (actifs ou ruinés) se trouvant dans l’emprise de la seigneurie de Sancergues. Au sein de chaque parcelle est inscrite la nature du bien ainsi que le nom du ou des tenanciers, sa surface et la redevance qui y est associée.
Les limites parcellaires portent des cotes, dont il n’a pas été possible de déterminer dans quelle unité de mesure elles étaient exprimées. Il est cependant probable qu’il s’agisse simplement d’une mesure en pas. Il paraît assuré que la levée de ces plans n’a pas fait l’objet d’un réel arpentage, ni même de triangulations. Ils sont pour la plupart faux sur le plan de la géométrie. Cela est particulièrement observable sur certains plans, où la proportionnalité entre le dessin et les mesures portées sur les limites parcellaires n’est pas respectée. Le plan du bourg de Sancergues illustre au mieux le caractère schématique de cette série de plans (Figure 3, PDF, 169 ko).
Le cadastre ancien (1829)
Il s’agit du premier relevé foncier réalisé à l’échelle de la parcelle de culture pour tout l’Empire, voulu par Napoléon 1er. L’ampleur de la tâche a nécessité que cette entreprise soit accomplie sur la plus grande partie du xixe s.
Dans la zone choisie, ce document a été élaboré en 1829. Chaque commune est divisée en sections, elles-mêmes représentées sur plusieurs feuilles à l’échelle 1/5000. Ces plans parcellaires sont accompagnés de registres, les « états de sections » dans lesquels sont reportés pour chaque parcelle son numéro sur le plan, sa nature (prairie, terre, bois, etc.), le toponyme, le nom du propriétaire, sa profession et son lieu de résidence, ainsi qu’un classement hiérarchique des parcelles (base de l’imposition).
Contrairement aux plans terriers décrits plus haut, la levée du cadastre « napoléonien » a fait l’objet d’un réel arpentage des parcelles (pour asseoir au plus juste l’assiette fiscale) et d’une triangulation conférant à ce document — pourtant ancien – une exactitude topographique souvent étonnante (Figure 4, PDF, 162ko).
II. Intégration des documents anciens au sein du SIG
Vectorisation du cadastre ancien
Les feuilles numérisées du cadastre ancien ont fait l’objet d’un géoréférencement au moyen du SIG ArcGIS d’ESRI©. Ce géoréférencement est fondé sur l’identification de points de contrôle pérennes (carrefours, limites parcellaires) entre l’image numérisée et une couche vectorielle disposant déjà d’un géoréférencement. Dans ce cas précis, le cadastre ancien a été « recalé » sur le fond cadastral actuel.
L’intégralité du parcellaire (bâti et non bâti) a été vectorisé sous forme de polygones. Ce sont donc plus de 5500 parcelles qui ont ainsi été redessinées pour les trois communes étudiées. Pour chaque parcelle, les informations issues des états de section dressés au moment de la levée du cadastre ont été enregistrées comme données attributaires de ces polygones : numéro de la parcelle, section, nature, nom du propriétaire, lieu de résidence de ce propriétaire, microtoponyme et classe hiérarchique.
Ainsi, par des traitements thématiques, on peut obtenir différentes images de l’occupation du sol en interrogeant l’un des champs de la base de données, selon que l’on s’intéresse à la gestion du territoire agraire, à l’organisation de la propriété foncière ou au paysage (Figure 5).
Intégration des informations livrées par les plans terriers
J’ai insisté plus haut sur le caractère schématique et approximatif des plans dressés en 1723. Il a été tenté dans un premier temps de les géoréférencer au sein du SIG, en utilisant la même démarche que pour le cadastre ancien. Cela n’a pas pu être réalisé car les déformations induites étaient trop importantes. En effet, les erreurs d’angles et de distances rendaient impossible tout redressement de l’image. Il n’a pas non plus été possible d’assembler ces plans entre eux pour éventuellement les vectoriser et en obtenir un plan d’assemblage.
Il n’était pourtant pas envisageable d’abandonner cette approche spatiale d’un document planimétrique datant du début du xviiie siècle. En conséquence, j’ai tenté d’intégrer les informations contenues dans ces plans sur le fond parcellaire vectorisé du cadastre napoléonien. Il s’agissait de reporter sur le fond vectoriel du cadastre ancien les points de peuplement, les chemins et les limites parcellaires visibles sur les plans terriers. Cela n’a pas posé de problème majeur pour la saisie des chemins et des points de peuplement pour la plupart encore actifs sur le cadastre. Il en a été autrement pour la restitution des limites parcellaires présentées sur ces plans.
J’ai procédé en menant des comparaisons terme à terme, c’est-à-dire en visualisant de façon simultanée un plan terrier et le cadrage correspondant (à une échelle proche) du fond cadastral napoléonien vectorisé dans le SIG (Figure 6, PDF, 170 ko). Ainsi, certaines limites présentes sur les deux documents ont pu être retracées. De même, la cartographie de l’emprise des microtoponymes a également favorisé la restitution de certaines limites. À partir de cette première trame grossière, il a été possible de restituer quasiment toutes les parcelles figurant sur les plans terriers, au prix de certaines approximations.
Il faut noter d’emblée que le plan ainsi restitué ne peut pas être utilisé pour une analyse de la morphologie du parcellaire, et ceci pour deux raisons :
- Du fait du caractère schématique des plans terriers, la restitution qui en a été faite sur le fond cadastral napoléonien est probablement fausse pour ce qui concerne les distances et les angles ; le gabarit des parcelles n’est sans doute pas en rapport avec la réalité ; les phénomènes de continuité parcellaire ou de recoupement ont pu être gommés par l’approximation des plans.
- Il n’est pas possible de déterminer si les limites portées sur ces plans correspondent véritablement aux limites des parcelles cultivées ou bien à des limites de quartiers de cultures. En effet, il est étonnant de constater que le morcellement parcellaire est plus important sur le cadastre napoléonien que sur ces plans. D’autre part, les mentions fréquentes de plusieurs tenanciers pour une même parcelle (sans que la notion d’indivision soit précisée) associées à des formules du type « à X pour 1/5, à Y pour 2/5 » semblent aller dans le sens d’une représentation minimale du parcellaire où l’ensemble des limites ne sont pas reportées.
Toutefois, la position relative des unités de culture les unes par rapport aux autres est respectée dans cette reconstitution. Ainsi, le plan obtenu peut être utilisé pour restituer un état de l’occupation du sol au début du xviiie siècle à l’échelle de la seigneurie.
La saisie des données attributaires de chaque parcelle a été réalisée. Les informations sont issues des plans terriers eux-mêmes, sans qu’il ait été nécessaire de consulter intégralement le registre terrier. Le type d’occupation du sol a naturellement été enregistré, de même que le microtoponyme associé. De la même manière que pour le cadastre ancien, une analyse thématique sur le champ « type d’occupation » permet de dresser un tableau de l’occupation du sol au début du xviiie siècle (Figure 7, PDF, 143 ko ).
III. Mesurer l’évolution de l’occupation du sol sur le temps court
L’enjeu de la comparaison de ces deux états du paysage, distants d’un siècle, est d’apprécier les rythmes d’évolution de l’occupation du sol sur une période réduite, et de préciser les implications spatiales des changements éventuels à l’échelle de la seigneurie.
Évolution globale des masses de culture
Un premier traitement comparatif des deux situations a consisté à mesurer les surfaces concernées par chaque type d’occupation du sol : espaces boisés, espaces cultivés, prés et pâturages, etc.
Pour une comparaison équitable des deux situations (1723 et 1829), il a fallu découper le parcellaire napoléonien selon l’emprise spatiale des plans terriers. Cette opération est rendue possible grâce aux outils de géotraitement offerts par le logiciel. La couche représentant l’espace documenté par les plans terriers a donc fait office de pochoir aux limites duquel le cadastre ancien a été découpé. On obtient ainsi deux couches vectorielles de surface et d’emprise rigoureusement superposables (Figure 8, PDF, 121 ko). Ensuite, une commande de calcul automatique de la surface de chaque parcelle, pour chacune des deux couches, a été réalisée. Cela a permis de mesurer l’évolution respective de chaque type d’occupation du sol (Figure 9, PDF, 77 ko).
Globalement, on constate un recul des espaces incultes. Les espaces décrits sur les plans terriers comme étant en « chaume » ont totalement disparu du thésaurus de définition des parcelles sur le cadastre ancien. Il semble que ce terme ne désigne pas l’état des terres cultivées qui suit immédiatement la moisson, quand les tiges sont encore visibles. En effet, l’expression est clairement distinguée de celle de « terre labourable ». De plus, elle n’est jamais utilisée seule, mais en association avec d’autres qualificatifs comme « chaume et genièvres » ou « chaume et buissons » ; dans un cas, les terres en chaume sont même décrites comme « délaissées », ce qui illustre bien le caractère inculte de ces espaces. Il faut donc assimiler les espaces en « chaume » à des terres en friche. D’ailleurs, cette acception particulière du terme « chaume » en Berry a déjà été soulignée (Lachiver 1997, p. 438). En 1829, aucun espace n’est décrit comme tel. On observe donc une baisse mécanique des espaces incultes, mais aussi de la vigne, au profit des pâturages, des espaces boisés et, dans une moindre mesure, des terres labourables.
Ces résultats entrent en contradiction avec le schéma généralement admis d’un recul des espaces boisés au profit des espaces cultivés, notamment au cours du xviiie siècle, dont on sait par ailleurs qu’il connaît une forte croissance démographique.
Analyse par mailles
Il était intéressant de dépasser cette approche globale des types de couverture du sol en tentant de spatialiser et de quantifier le changement. Certes, des évolutions sont observables mais où les changements interviennent-ils ? Pour ce faire, il était impossible de réaliser une comparaison stricte parcelle par parcelle dans la mesure où les deux trames parcellaires sont différentes : j’ai précisé plus haut que le parcellaire de 1829 était plus morcelé que celui figuré sur les plans de 1723. D’autre part, il paraissait utile de produire une cartographie du phénomène en lui-même, de sa dynamique et de son intensité, et de ne pas se limiter à des comparaisons empiriques entre les deux états restitués du paysage.
J’ai donc réalisé une analyse par mailles, ou tessélation, qui permet une « modélisation et discrétisation de l’espace spatial selon un maillage composé de mailles géométriques régulières [...] ou irrégulières » (Glossaire 2004, p. 426). Dans le cas présenté ici, cette possibilité de traitement offerte par le SIG a l’avantage de réduire la variabilité parcellaire observable sur chacune des deux couches à une grille standardisée exactement superposable pour chacun des deux états du paysage. Un carroyage régulier (carrés de 100 m de côté, soit un hectare) est créé sous SIG et appliqué à tout l’espace documenté (Figure 10, PDF, 189 ko).
L’outil permet de transférer sur chaque maille plusieurs valeurs statistiques calculées à partir d’un champ numérique de la couche d’origine (Figure 11). Pour chaque maille, le logiciel calcule trois valeurs :
- le nombre d’entités que la maille intersecte (champ EFFECTIF), ici le nombre de parcelles
- la somme brute des valeurs des entités que la maille intersecte (champ S_BRUTE)
- la somme pondérée par le ratio géométrique (superficie) des valeurs des entités que la maille intersecte (champ S_RATIO)
La réalisation de ce traitement a nécessité de convertir la variable qualitative « type d’occupation du sol », dont les modalités sont aussi diverses que « terres labourables », « prés », « pâturages » ou « vignes », en une variable quantitative sur laquelle pourraient être fondés les calculs statistiques par maille. Un codage des différents types d’occupation du sol a été établi et saisi dans un champ spécifique pour les deux couches (1723 et 1829) (Figure 12). Ce codage permet d’ordonner les modalités de la variable en trois classes, du moins intensément exploité (bois, friches) au plus intensément exploité (terres labourables, vignes et jardins). La valeur 0 a été affectée aux espaces dont la nature n’était pas précisée sur les plans terriers.
Type | Code |
---|---|
Inconnu | 0 |
Bois, friches | 1 |
Pâtures, prés | 2 |
Terres, vignes, jardins | 3 |
Les statistiques par mailles ont été calculées sur ce nouveau champ de valeurs numériques. On obtient pour chaque couche (terrier et cadastre) un carroyage où chaque maille a pour valeur la moyenne des codes affectés aux parcelles intersectées par la maille (S_BRUTE / EFFECTIF) (Figure 13, PDF, 142 ko — Figure 14, PDF, 148 ko). On obtient ainsi un éventail de valeurs ordonnant l’espace du moins intensément exploité (en vert) au plus intensément exploité (en rouge).
Il est enfin possible de calculer une troisième grille exprimant la différence entre les deux premières. Dans cette nouvelle grille, la valeur de chaque maille est égale à la soustraction de la valeur obtenue sur le plan terrier à la valeur obtenue sur le cadastre ancien. Par exemple, une maille ayant pour valeur moyenne 3,4 sur le plan terrier et 1,6 sur le cadastre aura pour valeur dans la grille d’évolution : 1,6 – 3,4 = - 1,8. Elle sera identifiée comme zone de déprise agraire.
Cette opération livre trois types d’informations (Figure 15, PDF, 142 ko) :
- elle permet de spatialiser les changements intervenus dans l’occupation du sol entre 1723 et 1829,
- elle indique le sens des évolutions : vers des espaces plus intensément exploités ou vers des espaces délaissés,
- elle favorise une estimation de l’intensité de ces changements grâce à l’éventail des valeurs obtenues.
Ici, les gammes de rouge indiquent une évolution vers plus de terres cultivées (conversions de pâturages ou de friches), tandis que les gammes de bleu désignent des espaces qui étaient cultivés et qui sont reconvertis en espaces pâturés ou boisés. Les zones de relative stabilité de l’occupation du sol sont matérialisées par les mailles jaunes. Dans ces zones, le mode d’exploitation du sol n’a que peu varié entre 1723 et 1829.
Quelques résultats
Cette grille laisse apparaître, sur un fond général de stabilité de l’occupation du sol, quelques zones faisant l’objet de changements radicaux : des forêts sont déboisées, des espaces cultivés sont plantés d’arbres. Les zones de changement qui peuvent être identifiées associent d’ailleurs les deux phénomènes. Sur des secteurs restreints, on constate des évolutions simultanées inverses : à proximité d’une zone défrichée est planté un bois là où auparavant les terres étaient cultivées. Cela semble traduire une rotation des types d’occupation du sol, en forme de balancier entre espaces incultes et espaces cultivés, à l’échelle de zones relativement réduites. J’ai indiqué plus haut qu’au final, la balance penche en faveur des espaces boisés dont la progression est la plus importante sur la période considérée.
Comment interpréter ces évolutions ? L’analyse de ces résultats est en cours, mais il semblerait que l’habitat joue un rôle particulier dans les évolutions observées. En effet, dans un cas, un groupe de parcelles mentionnées en « chaume » et « sans détenteurs » sur les plans terriers apparaît comme lieu d’implantation d’un hameau sur le cadastre ancien (Figure 16, PDF, 116 ko). Cet exemple illustre l’intensification de l’exploitation de l’espace à l’œuvre au cours du xviiie siècle. J’ai souligné plus haut qu’aucune parcelle du cadastre ancien n’était indiquée comme inculte ou en friche. On peut également constater que dans certains cas, les zones de déprise des espaces exploités sont situées à proximité de points de peuplement mentionnés comme « ruinés » sur les plans terriers (Figure 17, PDF, 171 ko). Les évolutions du tissu de peuplement ne sont donc probablement pas étrangères aux changements intervenant dans les modalités d’exploitation du sol.
Cette intensification n’est pas en contradiction avec la progression observée des espaces boisés. En effet, les bois et taillis sont les parcelles les plus lourdement imposées1 d’après le cadastre ancien, donc celles procurant les meilleurs revenus. Il est assuré que la plantation de bois était un investissement sûr et fructueux.
D’autres éléments d’explication pourront être explorés pour interpréter ces évolutions, comme la qualité des sols ou la distance à l’habitat par exemple.
Au-delà de cette étude de cas, la démarche présentée ici permet de confronter entre elles des sources différentes documentant un même espace. Surtout, elle ouvre une voie vers la quantification des phénomènes de changement, même si les variables étudiées sont qualitatives, dans la mesure où elles peuvent être ordonnées et codées en valeurs numériques.
Pour les périodes récentes (xviiie - xxe siècle), on peut ainsi envisager de restituer des états toujours plus nombreux du paysage, en se fondant sur les plans anciens et les différentes révisions cadastrales, et ainsi mesurer les rythmes d’évolution de l’occupation du sol sur des laps de temps très courts.
Pour les périodes anciennes, le même type d’approche pourra être appliqué à l’analyse de l’évolution du peuplement. En effet, on peut imaginer produire de telles grilles permettant de compter les points de peuplement mentionnés dans les sources écrites, de pondérer éventuellement la constitution des maillages par des statuts hiérarchiques différents, et enfin de produire des grilles de spatialisation des évolutions dans le temps.
Appliquée aux données archéologiques de prospection au sol, cette démarche pourrait permettre de spatialiser les emprises et les déprises agraires successives en créant des maillages représentant les densités de mobilier d’épandage récolté par période chronologique. De telles démarches ont déjà été tentées à plus petite échelle, pour analyser la distribution de sites archéologiques et de mobilier de prestige (Gauthier 2004). On peut là aussi envisager d’y ajouter la dimension temporelle, en créant des grilles de spatialisation des changements intervenant entre chaque phase chronologique.
Conclusion
Un colloque récent (Brunel 2002) a fait le point sur les différentes utilisations possibles des terriers et des plans qui leur sont associés. Certains auteurs envisageaient le traitement informatisé des registres (Clavaud 2002), d’autres exploitaient les plans en les confrontant à d’autres données — archéologiques notamment — (Compatangelou-Soussignan 2002).
Toutefois, une analyse spatialisée des plans terriers avec leur contenu littéraire, sous l’angle de l’histoire du paysage, restait difficile à réaliser. De même, ces plans apparaissaient comme des documents instantanés d’une époque mais déconnectés de toute dynamique de l’occupation du sol.
Il est probable que l’outil SIG, en permettant l’enregistrement conjoint de l’information spatiale et des données littéraires, favorise désormais l’intégration de ces sources (plans terriers et cadastres) dans l’étude des paysages. Au-delà des points de peuplement, les sources planimétriques permettent d’aborder le continuum spatial qui lie entre eux les points : champs, bois, prés. L’évolution de ces espaces semble être régie par des rythmes propres.
La focalisation de l’analyse sur un temps court permet ici de saisir les soubresauts d’un mouvement généralement perçu comme linéaire vers un paysage toujours plus ouvert, où l’emprise des espaces boisés diminue au profit des espaces cultivés. Dans la seigneurie de Sancergues, entre 1723 (date à laquelle sont réalisés ces plans) et 1829 (date de levée du premier cadastre), on constate que des secteurs sont l’objet de changements importants dans la nature de l’occupation du sol : des bois sont certes défrichés, mais dans le même temps, et souvent à proximité, des espaces cultivés sont reconvertis en pâturages et en forêts.
L’intégration des plans anciens au sein d’un SIG et l’utilisation des potentialités d’analyse spatiale offertes par celui-ci a permis de dépasser une estimation globale de l’évolution des masses de culture au profit d’une cartographie des phénomènes de changements proprement dits, de leurs dynamiques et de l’intensité des évolutions à l’œuvre.
Bibliographie
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