Trois projets d’éditions informatisées d’actes aux Pays-Bas
Karl Heidecker
Université d’Utrecht
k.j.heidecker@let.rug.nl
Le métier de diplomatiste a beaucoup évolué. Une des influences les plus importantes des dernières années est sans doute l’apport de l’informatique. Mais cette donnée nouvelle est au Pays-Bas indissociable de l’histoire des projets et de l’organisation administrative et financière.
La diplomatique telle qu’elle existe aujourd’hui aux Pays-Bas, est une importation de l’Allemagne. Les historiens néerlandais de la fin du xixe siècle, afin de mieux interpréter leurs sources, se tournèrent vers leurs collègues allemands. Otto Oppermann (1873-1946), élève de Karl Lamprecht, devint professeur à l’Université d’Utrecht, où avec de nombreux élèves il se mit à critiquer rigoureusement et sévèrement les sources médiévales néerlandaises. Johan Huizinga (1872-1945), professeur à Leyde, s’opposa à Oppermann et à ses élèves, qu’il qualifia de « oorkondenzifters » [1]. Néanmoins l’école d’Oppermann à Utrecht connut un grand succès et les sciences auxiliaires furent introduites dans le curriculum des universités.
Les chercheurs ainsi formés entreprirent un gros travail d’édition des sources, et en particulier des actes diplomatiques. Les projets scientifiques furent très liés à l’organisation administrative du pays. Les onze provinces, correspondant plus ou moins aux anciens comtés, duchés et principautés ecclésiastiques du bas Moyen Âge, servirent de cadre à des séries d’éditions chronologiques ou par fonds d’archives. Mais la responsabilité restait nationale. Aujourd’hui les résultats de ces projets d’éditions peuvent sans doute être considérés comme impressionnants : en 2003-2004 on disposera d’une série d’éditions de bonne qualité de presque tous les actes des Pays-Bas jusqu’au début du xive siècle [2] .
Pourtant, ces dernières années, les responsables de la recherche scientifique aux Pays-Bas ont décidé de ne plus soutenir de tels projets de recherche longs et coûteux. La première victime en matière éditoriale fut l’édition des actes du Brabant néerlandais : on a renoncé aux deux derniers tomes (le Brabant de l’est et du nord-ouest). C’est dans ce climat que les éditions informatisées offrent de nouvelles solutions. La production d’éditions électroniques coûte moins cher que celle des grandes séries imprimées, et elle permet la fourniture de documents provisoires et amendables. Alors une fois abandonné le rêve de belles séries imprimées sur les rayons de sa bibliothèque, il paraît raisonnable de se consacrer à des éditions numériques qui conviennent mieux aux exigences d’aujourd’hui, soit une recherche moins chère et des résultats visibles plus vite.
Le premier projet de recherche informatisé, présenté ici, semble résulter entièrement de ces réflexions négatives. Il s’agit d’offrir une solution au travail déjà réalisé autour des actes du Brabant. Une base de données est en constitution, avec les régestes des actes déjà réunis. Elle sera publiée sur Internet, sans images. Elle sera gérée par l’Institut pour l’Histoire néerlandaise (Instituut voor Nederlandse Geschiedenis) à La Haye et les Archives d’état au Brabant du Nord (Rijksarchief in Noord-Brabant) à Bois-le-Duc.
Un autre projet entièrement nouveau vise l’édition d’un beau fonds bien délimité : celui des « schepenkistoorkonden », soit les actes d’échevins conservés dans le « coffre des échevins » d’Arnhem. Ce type de conservation des actes d’échevins existe aussi à Kampen (Pays-Bas) et à Cologne. Le projet sera aussi dirigé par l’Institut pour l’Histoire néerlandaise (Instituut voor Nederlandse Geschiedenis), dans le cadre d’un programme d’édition des actes antérieurs à 1300, un programme qui réunit aujourd’hui presque toutes les éditions d’actes des Pays-Bas en cours. Cet institut a lancé de nombreuses campagnes de numérisation. Le fonds d’Arnhem contient 318 actes, sur parchemin, non scellés, datés des années 1293-1348. L’édition prévoit des photographies en couleur, des reproductions des notes dorsales, des régestes, mais elle renonce à donner le texte des documents qui reprend indéfiniment le même formulaire.
Le dernier projet, certainement le plus ambitieux, est aussi le plus avancé. Il vise la mise en ligne de tous les actes relatifs aux provinces de Groningen et Drenthe jusqu’en 1595, au total environ 20 000 actes. Cette édition remplacera l’édition du xixe siècle [3] et la continuera de l’année 1405 jusqu’à l’année 1595, époque de changements politiques et religieux importants. Elle n’est pas gérée par une organisation nationale, mais par une fondation régionale (Stichting Digitaal Oorkondenboek Groningen en Drenthe), avec des représentants des archives de Groningen (D. During-Buis et E. Schut), des archives et de la province de Drenthe (M. A. W. Gerding et D. H. Huizing) et des chercheurs de l’Université de Groningen (J. Hermans, O. Vries, D. E. H. De Boer et F. Bakker). W. E. Goelema, ancien directeur des Archives nationales à Groningen, a lancé le projet, qui est dirigé aujourd’hui par Redmer Alma, conservateur aux Archives de Drenthe (Drents Archief). Folkert Bakker de l’université de Groningen avait transcrit des milliers d’actes. À partir de ce travail, on a décidé de progresser par fonds. Une première livraison a été réalisée en novembre 2002, mettant à disposition l’édition des actes des abbayes cisterciennes d’Assen, Essen et Aduard (environ 500 actes) [4]. La masse de documents (20 000 actes), les possibilités de l’hypertexte pour documenter les actes avec de nombreuses références, la plus grande accessibilité, le caractère provisoire et améliorable de l’édition ont imposé l’édition électronique.
Cette édition s’adresse aux historiens professionnels mais aussi aux amateurs d’histoire régionale. Des traductions des actes écrits en latin facilitent la consultation. Pour chaque acte, l’édition fournit les renseignements suivants : un numéro d’édition, le lieu et la cote de conservation, la tradition, la date, une analyse du contenu de l’acte, la transcription et traduction éventuelle du texte, une reproduction de l’acte. L’hypertexte gère les informations relatives aux éditions, à la littérature, aux personnes mentionnées [5], aux noms de lieux, aux mots-clef, mais aussi les relations entre les actes (copies, originaux, transfixes), les anciens lieux de conservation, les additions et notes dorsales, les sceaux (photographies commentées), et la description matérielle des documents.
Sur le plan technique, les données sont accessibles sous forme de texte continu plutôt qu’en base de données, afin de ne pas surcharger les postes de consultation avec des programmes lourds et de faciliter la consultation.
Répondant au départ aux exigences financières des organismes responsables, ces éditions informatisées sont très prometteuses. Elles donnent accès à des documents que malheureusement beaucoup ne savent plus lire (les responsables universitaires éliminant peu à peu les sciences auxiliaires du curriculum des universités) et surtout elles inaugurent des recherches tout à fait nouvelles.
Avec tous mes remerciements à Redmer Alma, Dick de Boer, Arnoud-Jan Bijsterveld, Eef Dijkhof, Ed Harenberg, Martin de Ruiter et Jan Sanders pour les renseignements fournis.
[1]. Expression construite par Huizinga avec des allusions bibliques signifiant quelque chose comme « Pharisiens-diplomatistes ».
[2]. Ces éditions, couvrant presque la totalité des actes des Pays-Bas jusqu’en 1300 sont :
Pour la Hollande et la Zélande : Oorkondenboek van Holland en Zeeland tot 1299 ('s-Gravenhage, Assen, 1970-2003 5 t. ; t. I. fin viie siècle-1222, éd. A. C. F. Koch ; t. II. 1222-1256, éd. J. G. Kruisheer ; t. III. 1256-1278, éd. J. G. Kruisheer ; t. IV. 1278-1291, éd. J. G. Kruisheer ; t. V. 1292-1299 éd. E. C. Dijkhof (en préparation). Spécifiquement pour Amsterdam : Oorkondenboek van Amsterdam tot 1400, éd. P. H. J. van der Laan (Amsterdam, 1975) ; Supplément, éd. B. R. de Melker (Hilversum, 1995).
Pour la partie néerlandaise du Brabant : Oorkondenboek van Noord-Brabant tot 1312 (Serie Rijks Geschiedkundige Publicatiën, 's-Gravenhage, 1979-2000) 2 t. (4 vol.) ; t. I. De Meijerij van 's-Hertogenbosch (met de heerlijkheid Gemert) ; vol. 1. 690-1294, vol. 2. 1294-1312, éd. H. P. H. Camps ; t. II. De heerlijkheden Breda en Bergen op Zoom, vol. 1. 709-1288, vol. 2. 1289-1312, éd. M. Dillo, G. A. M. Van Synghel et E. T. van der Vlist.
Pour la Gueldre, y compris la partie nord du Limbourg actuel : Oorkondenboek van Gelre en Zutphen tot 1326 (Serie Rijks geschiedkundige publicatiën, 's-Gravenhage, 1980-1997) 7 t. ; t. I. 28 août 1214-9 juin 1322, éd. E. J. Harenberg ; t. II. St.-Maria-Magdalenaklooster te Nijmegen, Munsterabdij te Roermond (1re partie) éd. E. J. Harenberg et M.S. Polak ; t. III. Munsterabdij te Roermond (2e partie), Kapittel van de Heilige Geest te Roermond, Gasthuis van de Heilige Geest te Roermond, Broederschap van de Heilige Geest te Roermond, Minderbroedersklooster te Roermond, Begijnhof te Roermond, éd. M. S. Polak ; t. IV. Klooster Bethlehem bij Doetinchem (1ère partie) éd. E. J. Harenberg ; t. V. Abdij Grafenthal bij Goch, éd. E. C. Dijkhof ; t. VI. Klooster Bethlehem bij Doetinchem (2e partie) éd. E. J. Harenberg ; t. VII. Klooster Bethlehem bij Doetinchem (dernière partie). Spittaal te Zutphen. Bornhof te Zutphen. Particuliere charters te Zutphen. Oude en Nieuw Gasthuis te Zutphen. Klooster Heer-Hendrikshuis te Zutphen. Klooster Het Rondeel te Zuphen. St.-Annagilde te Zutphen, éd. E.J. Harenberg ; t. VIII en préparation.
Pour l’Utrecht, y compris l’Overijssel actuel : Oorkondenboek van het Sticht Utrecht tot 1301 ; (Utrecht, puis ’s-Gravenhage, 1920-1959) 5 t. (7 vol.) ; t. I. 695-1197 éd. S. Muller Fzn. et A. C. Bouman ; t. II. 1198-1248, éd. K. Heeringa ; t. III. 1249-1267, éd. F. Ketner ; t. IV. vol. 1. 1267-1283, vol. 2. 1283-1290, éd. F. Ketner ; t. V. vol 1. 1291-1296, vol. 2. 1296-1301 et supplément, éd. F. Ketner.
Pour Groningen et Drenthe, l'édition bientôt remplacée par une édition digitale :
Oorkondenboek van Groningen en Drente, éd. P.J. Blok e. a. (Groningen, 1896-1899) 2 vol. (750-1404)
Pour la Frise, il y a peu d'actes en langue latine dans les éditions : Groot placaat en charter-boek van Vriesland, éd. G. F. thoe Schwartzenberg en Hohenlansberg (Leeuwarden, 1793) complété par : G. Colmjon, Register van oorkonden die in het Charterboek van Friesland ontbreken tot het jaar 1400 (Leeuwarden, 1883). En revanche il y a un nombre important d’actes en langue frisonne : Oudfriesche oorkonden, éd. Pieter Sipma, ('s-Gravenhage, 1927-1977) ; 4 t. ; Oudfriesche taal- en rechtsbronnen, 1-3, 14 ; t. I-III éd. P. Sipma, t. IV intitulé Oudfriese oorkonden, (1397-1545) éd. O. Vries. Supplément et corrections : O. Vries, Correcties op P. Sipma, Oudfriesche oorkonden I-III : aangevuld met een overzicht van schrijvershanden (Groningen, 1984).
[3]. Oorkondenboek van Groningen en Drente, éd. P. J. Blok e. a. (Groningen, 1896-1899) 2 vol. (750-1404).
[4]. Disponible à cette adresse http://www.oorkondeboek.nl/
[5]. Pour les problèmes concernant l’identification des noms propres de ces actes : Redmer Alma, « A multi-level database : study on the elite of 15th and 16th century Groningen », in Koen Goudriaan e.a. éd., Prosopography and Computer. Contributions of Medievalists and Modernists on the Use of Computer in Historical Research (Leuven/Apeldoorn, 1995) pp.185-194.