Le Médiéviste et l’ordinateur
Le Médiéviste et l’ordinateurHistoire médiévale, informatique et nouvelles technologies
Varia : articles hors-série

Un nouvel outil pour l’archéologie : le jeu vidéo

Auteurs

Pascal Dufresne
p.dufresne@free.fr
Université Michel de Montaigne, Bordeaux III
site : http://p.dufresne.free.fr/Ri&Rv/

Citer l’article

Pascal Dufresne, « Un nouvel outil pour l’archéologie : le jeu vidéo », Le Médiéviste et l’ordinateur, 2006 (Varia) [En ligne] http://lemo.irht.cnrs.fr/jeu-video.htm

Mots clés

archéologie, reconstitution, restitution, infographie, 3d, jeu vidéo

Keywords

archaeology, reconstitution, restitution, computer graphics, infographic, 3d, video game

 

Résumé

Le jeu vidéo, habituellement rattaché au ludique, est abordé pour ses qualités de représentations et esthétiques, pour être appliqué aux domaines de l’architecture et de l’archéologie. Dans ce cadre trois reconstitutions 3D de sites ont été réalisées avec cette technologie du jeu vidéo, et peuvent être visitées en temps réel. Après une analyse des logiciels couramment utilisés en archéologie, ce sont les solutions proposées par la technologie du jeu vidéo qui sont éprouvées sur chacune des étapes de la reconstitution d’un site. Les comparaisons et tests effectués permettent de proposer la technologie utilisée dans les jeux vidéo comme un outil utile en matière de reconstitution de sites archéologiques.

Abstract

The video game, usually attached to ludic, is approached for its qualities of representations and esthetics, and is applied to the fields of architecture and Archaeology. Within this framework, three reconstitutions 3d of sites were made with this video game’s technology. After an analysis of the software used in archaeology, the solutions suggested by the video game are tested on each stage of the reconstitution of a site. The comparisons carried out make it possible to propose the technology used in the videos games like a useful tool as regards reconstitution of archeological sites.

Article

Dans le cadre d’une thèse d’Arts Plastiques sur le réalisme infographique et la reconstitution architecturale assistée par ordinateur1, mon directeur de thèse, Madame Sylviane Leprun, et moi-même voulions démontrer que l’utilisation d’un haut degré de réalisme visuel, associé à une visite virtuelle souple et libre, étaient des outils essentiels en matière de reconstitution de sites archéologiques. Ces outils sont nécessaires :

Il fallait concevoir ou découvrir un logiciel capable de faire, à la fois, un décor et la visite virtuelle de ce décor. Les critères que nous avions déterminés étaient les suivants :

Dans cette optique, nous projetions de concevoir intégralement un logiciel, jusqu’à ce que nos recherches nous amènent à découvrir et expérimenter un type de logiciel déjà existant et parfaitement adapté à notre attente : les logiciels ludiques (jeu vidéo) et plus particulièrement, les logiciels dits « de tir ».

Seuls les logiciels ludiques permettaient d’avoir les caractéristiques recherchées. Un peu moins performant pour la 3D que les logiciels d’architecture professionnels, peut-être pas le meilleur outil pour obtenir des rendus hyper-réalistes, le jeu vidéo reste néanmoins l’un des meilleurs outils pour la visite virtuelle réaliste en temps réel. Il permet cependant d’obtenir des résultats de qualité pour la 3D et le rendu visuel.

L’intervention de la technologie du jeu vidéo pourrait se situer à mi-chemin de recherches archéologiques, après la première collecte d’informations (période, lieu, fouilles, plans…), après l’émission des premières hypothèses et avant le développement de modèles 3D plus élaborés (architecturalement parlant). Un site archéologique reconstitué via le jeu vidéo ne se présenterait pas comme un objet fini en soi, mais plutôt comme une esquisse, un croquis, un projet, un laboratoire d’essai… d’une future reconstitution 3D plus précise et plus réaliste.

Parmi les logiciels que nous avons explorés, pour ne citer que les plus connus et les plus couramment utilisés en restitution archéologique, nous nous sommes en premier lieu intéressés aux modeleurs. Le logiciel Autocad était très précis, mais trop rigide, et ses capacités de détail et de calculs professionnels relatifs à l’architecture, auraient été secondaires, à ce stade de la restitution. Le but recherché n’étant pas l’exactitude technique, mais, comme nous l’avons vu, l’esquisse d’un premier bilan de recherches archéologiques, il fallait un logiciel plus souple permettant de faire des esquisses tridimensionnelles, à l’instar des aquarelles, crayonnés ou maquettes habituelles.

Dans cette optique, un logiciel comme 3dsMax2 pourrait être très pratique. Il est souple et permet de concevoir et modifier rapidement des décors 3D. De plus, il permet d’appliquer de nombreuses textures de très haute définition dotées de caractéristiques de rendus visuels époustouflants. 3dsMax est tout aussi performant pour la gestion de la lumière, des brouillards et des reflets (pour ne citer que les effets les plus connus). Le rendu visuel recherché aurait ainsi été atteint (ce qui est logique, 3dsMax étant un logiciel prévu à cet effet). Toutefois, un rendu trop poussé aurait été déplacé, prématuré, et conviendrait mieux à l’étape finale d’une recherche. Les textures de 3dsMax sont également dotées de réactivité physique (friction, élasticité…), qui peut être utilisée avec l’environnement physique simulé proposé par le logiciel : gravitation, force du vent, masse des objets, interaction de tous les éléments entre eux… Malgré toutes ces qualités, 3dsMax ne possède pas de visualiseur propre et un autre logiciel aurait été nécessaire.

Un second logiciel est donc nécessaire pour visiter les sites et ce sont donc les qualités du visualiseur, qui cette fois doivent être prises en compte pour aborder la partie réalité virtuelle.

Le logiciel Review d’Aveva3, par exemple, est assez complet : il simule de façon correcte la collision entre le personnage utilisé pour la visite et son environnement, conserve une bonne qualité graphique, tout en rendant accessibles les données des éléments de construction. Il faut néanmoins une machine puissante quand il s’agit de gérer de grands espaces tridimensionnels. Cela étant dû, entre autre, à la façon dont est construit et géré le décor 3D.

Les visualiseurs courants ne permettent que rarement à plusieurs utilisateurs de visiter simultanément un site reconstitué. C’est donc seul que doit se faire la visite, ce qui peut être restrictif, car la visite multi-utilisateurs permet entre autre de mieux appréhender l’espace, de tester les voies de circulation, tout en favorisant un travail commun sur le site (en réseau local ou via internet).

Abordons à présent les solutions qu’offre la technologie du jeu vidéo.

Après une sélection parmi la multitude de jeux existants, c’est donc le jeu vidéo Rune4 et son éditeur de niveaux, qui ont été choisis pour reconstituer et visiter trois sites architecturaux : l’université de Bordeaux III, les thermes de Caracalla et le Louvre de Philippe Auguste. Les trois sites proposés ne sont que des exemples de démonstration, visant à tester et à mettre en valeur les capacités de représentation et d’exploration du logiciel.

Le jeu Rune a été choisi pour les raisons suivantes :

Le logiciel ludique Rune utilise un « dérivé » de 3dsMax, le moteur UnrealEngine, développé par EpicGames en collaboration avec Discreet (la division « Média et Divertissement » d’Autodesk). La société Autodesk développe des logiciels professionnels d’architecture comme Autocad ou des logiciels d’animation comme 3dsMax. Loin d’être des concurrents, Autocad et 3dsMax sont développés pour répondre aux besoins spécifiques de leurs utilisateurs : d’un côté l’architecture, l’électricité, la résistance des matériaux, etc.… et de l’autre les personnages, l’animation, le rendu réaliste.

Rune utilise la première version du moteur 3D UnrealEngine. Actuellement, après neuf années de développement, le moteur en est à sa troisième version et a été utilisé dans plus de trente jeux vidéo.

Le modelage et toutes les étapes de la construction sont réalisés avec l’éditeur de niveaux du jeu Rune. Pour l’étape du modelage, le jeu vidéo est un peu moins performant qu’Autocad ou 3dsMax, mais il est capable d’afficher des détails de deux centimètres, ce qui est suffisant dans le cadre de la représentation d’architectures. Son ergonomie et ses options de construction permettent de simplifier et d’accélérer les phases de construction 3D.

Les scènes courantes dans les jeux vidéo actuels comportent de 500 000 à 1 500 000 polygones (architectures et éléments de décoration additionnés). Les personnages et les éléments de décoration (flore, mobilier…) sont composés en moyenne de 3000 à 12 000 polygones et leur intégration dans les sites reconstitués permet d’en accroître la finesse.

L’éditeur de niveaux est un outil complet pour la conception du décor et des architectures, mais il est tout de même possible de travailler la 3D à l’aide d’un logiciel professionnel comme 3dsMax, puis d’exporter le travail vers l’éditeur du jeu (et réciproquement). L’utilisation de logiciels de 3D indépendants5 devient surtout nécessaire lorsque l’on désire personnaliser la 3D-non architecturale : mobilier, personnages, faune, flore.

Bien que l’éditeur de niveaux soit assez simple et intuitif pour les habitués de la 3D, un néophyte s’y trouvera totalement perdu. Autant pour les amateurs que pour les novices, l’apprentissage rapide de l’éditeur ne peut se faire réellement seul, il faut se documenter : de nombreux sites internet proposent des tutoriaux pour les utilisateurs de tous niveaux (novice à expert). Ils sont écrits simplement, limités à l’essentiel, et permettent de s’exercer. En quelques heures, il devient possible de construire les premières pièces d’un bâtiment.

Louvre
Palais du Louvre au xiie siècle

Après le modelage, le rendu réaliste des scènes s’exprime grâce aux textures. Ces dernières peuvent être d’une résolution maximale de 2048x2048 pixels (résolution moyenne de 1024x1024) et en nombre illimité, ce qui permet, au-delà de l’apport visuel, de transmettre un grand nombre d’informations relatives au matériau que les textures représentent. Chacune d’elles peut être paramétrée pour réagir à la lumière : réflexion, transparence, mise en relief du matériau (une surface plane peut avoir un relief très prononcé, ce qui ajoute une pluralité de détails pour une puissance de calcul minime).

Louvre
Palais du Louvre au xiie siècle

Ces mêmes textures peuvent être dotées d’une réaction sonore déclenchée au contact du personnage, reproduisant par exemple, la marche sur du gravier, un plancher, du marbre… La sonorisation des textures et de l’ensemble du site fait intervenir tout un lot de paramètres qui n’étaient pas encore pris en compte en reconstitution archéologique et qui transforment la perception et l’appréhension du site.

Il faut souligner l’importance de l’éclairage dynamique ou ambiant des sites. Les éclairages accroissent d’une part le réalisme visuel et d’autre part, apportent un grand nombre d’informations et de réflexions sur l’usage de la lumière dans les sites. Le site se présente alors sous différents aspects (jour, nuit, crépuscule) : les scènes diurnes permettent de mieux comprendre l’usage de la lumière solaire (éclairage naturel, mise en valeur de l’architecture, de la décoration…) ; et les scènes nocturnes par leur obscurité naturelle permettent aux archéologues de penser aux éclairages artificiels et portatifs qui auraient pu être utilisés. Ces différents éclairages sont utilisés dans les jeux vidéo pour éclairer de façon réaliste l’environnement en plaçant par exemple des braseros, feux de camps ou encore des torches portées par les visiteurs.

Louvre
Thermes de Caracalla

La visite virtuelle des lieux restitués se fait en dehors de l’éditeur de niveaux, avec le jeu vidéo lui-même. Cette visite permet de tester les espaces de circulation, de détecter des erreurs de construction, qui ne sont pas faciles à repérer depuis le modeleur 3D, et surtout de confirmer ou d’annuler des théories. En effet, l’espace tridimensionnel permet d’évaluer avec précision et dans sa globalité la crédibilité des théories échafaudées sur le papier. Comme il n’est pas aisé d’imaginer tous les constituants d’une théorie, l’espace virtuel permet au visiteur de se trouver face à la matérialisation d’un ensemble massif de connaissances et il est donc plus à même de les associer, de les confronter, de les juger.

La technologie du jeu vidéo permet aussi de simuler des zones de brouillard, feux, fumées, des bassins, douves… et bien que virtuels, ces phénomènes influent sur le comportement du visiteur. Par exemple, un simple feu de cheminée peut engendrer des réflexions : le visiteur évitera de lui-même de s’en approcher, il sera aussi plus à même de repérer les objets qui auraient pu être placés trop près du feu lors de la phase de reconstitution, pourra aussi émettre l’hypothèse que les murs et le plafond voisin étaient noircis par la fumée… Autant de détails anodins permettant de développer des réflexions qui n’auraient pas pu survenir dans un environnement virtuel proposé par un autre visualiseur (non ludique).

Conclusion

Du point de vue du rendu de l’image, le logiciel ludique se place bien au-dessus de la plupart de ses confrères. Alors que la plupart ne proposent que des images de petite taille, de résolution moyenne et sans éclairage dynamique, le jeu vidéo permet d’afficher des images complexes, bénéficiant de toutes les dernières évolutions graphiques.

Du point de vue de l’interaction et du réalisme de la visite, le jeu vidéo offre des possibilités que n’abordent pas la majorité des visualiseurs. Tout en exploitant le travail effectué lors de la phase de reconstitution 3D à travers un espace virtuel, il inclut l’interaction entre les visiteurs et l’ensemble de l’environnement.

Comparés aux logiciels actuellement utilisés en archéologie, les jeux vidéo proposent, en un seul logiciel, une qualité de représentation et de navigation équivalente, voire supérieure, aussi bien dans la précision 3D, que dans le texturage, le traitement de la lumière, la navigation et l’usage multi-utilisateurs.

Louvre
Thermes de Caracalla

Utiliser la technologie du jeu vidéo, ou s’en inspirer comme outil de reconstitution archéologique pourrait donc permettre de bénéficier de la constante et rapide évolution de ce domaine (qui est lié à une forte demande ainsi qu’à la concurrence), du faible coût de ces logiciels (même si l’on désire acquérir le « moteur 3D » dans son intégralité) et de leur disponibilité. C’est ce que nous continuons de démontrer en poursuivant nos recherches avec les derniers jeux présents sur le marché.

Annexe

Site web de l’auteur avec images des sites reconstitués (rubriques : « Quelques images »)

http://p.dufresne.free.fr/Ri&Rv/

Notes

1 Dufresne Pascal, Réalité virtuelle et réalisme infographique dans la reconstitution architecturale assistée par ordinateur, thèse d’Arts plastiques sous la direction de Sylviane Leprun Pieton, Université Michel de Montaigne Bordeaux III, 2005.

2 De la société Autodesk. http://www.autodesk.fr/ dans la rubrique Produits / Média et animation.

3 Son appellation complète : VPD Review (VANTAGE Plant Design Review). http://www.aveva.com/products/plant/vpd_products.html

4 De la société HumanHead (http://www.humanhead.com/ ). Jeu utilisant le moteur UnrealEngine. Site officiel du jeu Rune http://www.runegame.com/

53ds Max ou Maya par exemple. De nombreux plugins permettent de passer d’un logiciel à l’autre. Voici quelques sites internet permettant d’entrer plus en détail dans les techniques 3D utilisées : http://udn.epicgames.com/Two/WebHome http://www.unreal-design.com/