Nous n’avons pas tout traité dans ce numéro du Médiéviste et l’ordinateur sur l’édition électronique. Partis avec l’idée ambitieuse de faire un numéro révolutionnaire, la vie courante a ralenti nos fantasmes et ramené le projet à ce qui est tout simplement réalisable.
Il demeure des points de réflexion qu’il serait bon de traiter. Pour mémoire, puisque l’électronique, soit disant facilite la mise en ligne ultérieure de tous les articles que l’on voudra ; aussi pour donner l’idée aux lecteurs de nous proposer des articles sur ces sujets, en voici la liste rapide.
L’édition électronique savante est destinée aux historiens mais aussi aux linguistes. Ceux-ci ont développé, développeront encore des outils spécifiques pour l’étude du langage1. Mais ce sujet mériterait un numéro à soi tout seul. Un beau sujet pour un dossier futur.
L’outil électronique est prôné, on l’a vu, par bien des directions, ministérielles ou autres. Il ne détrône pas pourtant le livre, le support papier. Et ceci à tous les niveaux. Dans le métro, on ne voit guère d’ebooks. Dans le train, oui, des ingénieurs regardent des DVD sur leur ordinateur portable. Certains lisent-ils Victor Hugo ou Georges Sand (dans les éditions fournies par Gallica) pendant les longs trajets ? Peut-être. On peut se demander à ce sujet si la monographie a justement encore un grand avenir dans la forme livre papier, et si l’utilisation de l’électronique ne sera pas réservée dans un premier temps aux articles (format plus court, plus faciles à lire sur écran) et aux projets spécifiquement électroniques : bases de données, corpus, outils documentaires, sources combinant mode image et texte intégral.
Les bibliothécaires ont aussi des choses à nous dire sur la lecture publique dans sa relation entre écran et papier, comme Gautier Poupeau nous en a donné les pistes dans son article ici même. Le confort de la lecture est pris en compte par les métiers de la conservation et l’on garde dans certains projets (projet PERSEE de revues numérisées décrit plus haut) la présentation en numérisation image de la mise en page traditionnelle de la revue, afin que le lecteur conserve ses marques. L’une des tables rondes de la récente journée des pôles associés de la BnF a réfléchi sur les pratiques des usagers pour la consultation de Gallica2. Le poste lecteur imaginé autrefois lors d’un avant-projet européen par la BnF encore dans les limbes n’a guère eu de réalisation matérielle : mais il ressurgit, et il se développera, à n’en pas douter, un jour, avec la multiplication inéluctable des ressources en ligne, ressources incontournables pour tout travail de recherche. Certains jours à Tolbiac, il faut attendre bien longtemps qu’un poste de consultation de ressources numériques se libère, et pas seulement parce que des étudiants consultent trop longtemps leur messagerie personnelle…
En toutes ces matières, nous en sommes encore à essuyer les plâtres. Les internautes, amateurs d’électronique, de ces « ordinateurs » nommés dans le titre de notre revue, sont encore une minorité. Et les chercheurs qui suivent les ordres des directions et publient en ligne (même s’ils sont peu nombreux dans nos disciplines) et uniquement en ligne se heurtent parfois encore aux habitudes acquises lors de l’évaluation de leurs dossiers scientifiques à des niveaux divers. Combien d’entre eux ont-ils pris l’habitude de citer dans l’apparat critique de leurs articles et monographies des ressources en ligne ? Pourtant le Comité national de la recherche scientifique utilise le support électronique de préférence au support papier dans la gestion des dossiers des chercheurs. On a vu aussi récemment, dans le mode d’évaluation des revues par le département SHS du CNRS, le Web être utilisé pour aboutir à un classement. Un temps viendra peut-être où l’évaluation passera uniquement par le Net : on est souvent tenté déjà par l’idée de taper son nom sur Google ou d’obtenir sa carte personnelle en allant sur kartoo.com. Malgré tout, le papier reste encore roi même si les pratiques sont en forte évolution. Là encore les mentalités des médiévistes devront rapidement évoluer, sous peine de se voir considérer par leurs autorités de tutelle comme « passéistes » et trop peu intégrés au champ social.
Enfin, nous n’avons guère parlé du sujet crucial de l’archivage des publications électroniques. Lors de la semaine du numérique à La Rochelle3, Michel Bottin a lancé une comparaison osée entre XML et la Pierre de Rosette. Ce langage qui encadre les mots entre des balises ressemble aux cartouches égyptiens. Sa conclusion était, elle aussi, très surprenante : les textes édités en XML seront donc encore lisibles dans 10 000 ans ! Aurons-nous encore de l’électricité dans 10 000 ans ? Voire dans 50 ans, quand les puits de pétrole seront à sec ? Au-delà de la boutade, comment, par quels moyens, où, quand allons-nous archiver, faire évoluer et référencer ces documents électroniques ? Plusieurs groupes de travail, dans les archives comme dans les bibliothèques et notamment à propos du dépôt légal4, sont actuellement à l’œuvre. Il est question de lieux de conservation nationaux pour certains types de documents, un peu comme en Angleterre où l’AHDS5 semble avoir quelques années d’avance. Qu’en sera-t-il de la pérennité des adresses URL des sites scientifiques, de leurs dossiers, articles et ressources en ligne ? Le CNRS et les universités ont-elles songé, en plus de mettre en place un site portail référençant toutes les ressources en ligne pour la recherche, à un système d’archivage, d’équivalence de liens et de standardisation des adresses web ? En France, qui de la BnF, du CCSD ou du CINES sera chargé de la conservation ? Un consortium pourrait peut-être se mettre en place ?
Prenons un exemple concret : ce numéro du Médiéviste et l’ordinateur tout électronique donc, comment allons-nous le donner au dépôt légal de la BnF ? Alors que la version papier était déposée depuis sa création, comment faire pour la version électronique. Pour l’instant la BnF n’a pas donné de réponse satisfaisante. En attendant le dépôt légal des sites web, une solution transitoire serait de graver le nouveau numéro sur cédérom et de le considérer comme une édition multimédia diffusée au public au sein de notre bibliothèque ouverte aux chercheurs… Solution bancale reposant sur un dépôt lui-même très expérimental des cédéroms éducatifs : tous les cédéroms déposés sont-ils effectivement consultables par les lecteurs de la BnF ?
Voici un bref résumé des idées qui ont été brassées par les membres du comité de rédaction du Médiéviste et l’ordinateur et ses auteurs. Mais à présent que nous sommes en ligne, nous sommes très curieux de connaître, oh ! lecteurs ! vos réactions. Nous les attendons avec impatience.