Deux nouveaux outils documentaires
relatifs à l’histoire de la papauté
Xavier Hélary
helary@clipper.ens.fr
Deux outils documentaires mettant à profit les techniques les plus modernes de l’informatique vont rapidement devenir indispensables à tout historien de la papauté médiévale et, au-delà, par la richesse de leur contenu, à tout médiéviste. Leur caractère parfaitement complémentaire (d’un côté, la numérisation des registres originaux ; de l’autre, la mise sur CD-Rom des éditions imprimées) apparaîtra encore mieux quand les deux entreprises seront achevées.
École française de Rome, avec le concours de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (CNRS), Ut per litteras apostolicas, 1 CD-Rom, Brepols Publishers, 2002. (présentation sur le site web de l'IRHT)
Archivio Segreto Vaticano, Registra Vaticana, publication en cours.
1. La numérisation des registres du Vatican
L’Archivio Segreto Vaticano met à la disposition des chercheurs la numérisation des registres des papes du Moyen âge : du pontificat de Jean VIII (872-882) à celui de Pie II (1458-1464), 523 registres sont désormais consultables sur CD-Rom. La série des registres des suppliques, pour l’instant de son début sous le pontificat de Clément VI (1342-1352) à celui de Martin V (1417-1431), soit 265 registres, a également été numérisée. À terme, c’est l’ensemble des registres de la série du Vatican (plus de deux mille) et des registres des suppliques (plus de sept mille) qui devraient être numérisés. On pourra suivre sur le site internet de la Cité du Vatican (www.vatican.va) les progrès de l’entreprise.
Il est inutile d’insister sur l’intérêt que représente cette numérisation : la qualité de l’image est extraordinaire, et la possibilité de focaliser sur un détail sera évidemment très appréciée. Il sera maintenant possible d’étudier une grande partie des caractéristiques des registres (écriture, composition, notes marginales, soin apporté à la confection, etc). Quant au contenu même, il est évidemment d’une importance exceptionnelle qui n’échappera à personne.
On aura du mal cependant à se passer du texte imprimé des registres — quand il existe, et quelles qu’en soient par ailleurs les insuffisances. En effet, le CD-Rom contient uniquement les images des feuillets du registre : ne sont indiqués ni le nombre d’actes, ni les destinataires, ni enfin les dates d’expédition. Disons donc d’emblée que l’absence de tout navigateur et même de tout élément d’explication ou d’introduction pourra dérouter au premier abord le lecteur, qui se trouve simplement confronté à la liste des images. De surcroît, les images des feuillets se présentent isolément : si on cherche un acte dont on ne connaît pas la place exacte dans le registre, il faut donc ouvrir chaque fichier, puis le refermer avant d’ouvrir le suivant. A l’utilisateur par conséquent de savoir si l’acte qui l’intéresse se trouve au fol. 13 ou au fol. 45v… Il est donc nécessaire de disposer à portée de la main des éditions réalisées aux xixe et xxe siècles. Souvent fautives ou incomplètes, elles pourront maintenant être jugées sur pièce et rendues exhaustives. On pourra par exemple pallier — en partie — l’absence fréquente de notice codicologique en tête des éditions des registres.
En ce qui concerne les registres inédits, leur numérisation constitue évidemment un appel à combler cette lacune ; à défaut, la consultation en sera possible, sinon depuis chez soi, du moins en-dehors des Archives du Vatican.
Le léger désarroi initial que l’on peut ressentir en utilisant pour la première fois le CD-Rom d’un de ces registres est par conséquent rapidement surmonté ; il laisse aussitôt la place à l’émerveillement devant la qualité des images et la prodigieuse richesse du contenu.
La section de diplomatique de l’Institut de recherche et d’histoire des textes, dans le cadre de sa mission de mise à la disposition des chercheurs des outils documentaires, a fait l’acquisition des CD-Rom des registres de Jean VIII à Martin V (ce dernier exclu), soit du Reg.vat.1 au Reg.vat. 347. Les CD-Rom suivants devraient être acquis dans les années à venir.
2. Ut per litteras apostolicas : les éditions imprimées des registres du Vatican sur CD-Rom
L’entreprise intitulée Ut per litteras apostolicas a été menée depuis plusieurs années, sous la direction scientifique de l’École française de Rome, par Janine Mathieu (Institut de recherche et d’histoire des textes, section de diplomatique), avec la collaboration de Marie-France Yvan (École française de Rome). Il s’agit de donner une version électronique de la collection des lettres des papes des xiiie et xive siècles. A terme, ce sont les 80 volumes imprimés (32 pour les papes du xiiie s., 48 pour ceux du xive s.) qui seront ainsi disponibles pour une consultation électronique. Pour l’instant, la première livraison, sortie en 2002, contient les lettres communes pour les pontificats de Jean XXII, de Benoît XII et d’Urbain V : un seul CD-Rom équivaut à 22 volumes imprimés et à 35 années d’activité de la chancellerie pontificale. Trois CD-Rom devraient suffire à couvrir les 80 volumes imprimés. Dans l’immédiat, sont prévues des mises à jour périodiques du premier CD-Rom, avec l’enregistrement des suppliques d’Urbain V, des lettres communes de Grégoire XI en cours de publication et qui seront directement versées dans le CD-Rom, des cinq volumes d’index pour les pontificats de Jean XXII, Benoît XI et Urbain V ; viendra ensuite la mise sur CD-Rom des lettres secrètes et curiales des papes du xive s., puis des lettres communes de Clément V. Enfin, l’entreprise s’achèvera par un CD-Rom consacré aux registres des papes du xiiie s.
On pourrait regretter que la base documentaire ainsi fournie s’appuie exclusivement sur les éditions, et en soit par conséquent tributaire ; dans l’idéal, évidemment, il aurait été préférable de donner le texte des registres, plutôt que celui des analyses fournies par les éditions. Néanmoins, l’ampleur du travail nécessaire pour cette mise à la disposition des chercheurs du texte imprimé — qui a passé par un indispensable travail de ressaisie, effectué par l’éditeur Brepols, et dont on imagine sans peine la longueur —, ainsi que pour la conception d’un logiciel de recherche pertinent, rendait irréaliste la reprise à zéro du travail déjà très consciencieux effectué par les auteurs des versions imprimées.
De toute façon, les possibilités très étendues offertes par la consultation du CD-Rom des registres des trois pontificats retenus pour la première livraison convainc sans peine de l’intérêt exceptionnel de l’entreprise et témoigne du labeur impressionnant fourni par ses concepteurs. Le logiciel de recherche très performant permet d’interroger cette énorme masse documentaire. La première livraison ne compte pas moins de 12 millions de mots interrogeables. Le guide de l’utilisateur, réalisé par Janine Mathieu, explique très clairement le mode d’interrogation.
Les institutions ecclésiastiques, le clergé, les états pontificaux, le pouvoir politique, la juridiction, la fiscalité, l’administration et les finances, la société séculière, la vie religieuse, l’enseignement, la vie intellectuelle et artistique, l’économie, la guerre, la violence et le crime, l’environnement et les catastrophes naturelles, la vie quotidienne : voilà quelques-uns des domaines qui pourront être explorés désormais de façon non seulement infiniment plus commode, mais encore en tendant vers l’exhaustivité : la consultation des éditions imprimées était évidemment plus complexe et surtout moins sûre. L’historien pourra par exemple effectuer sa recherche en la faisant porter sur les trois pontificats pour l’instant couverts, ou sur un seul pontificat, ou encore sur une seule année. Il pourra croiser les critères et mener sa recherche dans les meilleures conditions.
La section de diplomatique de l’IRHT, basée à Orléans, ainsi que son antenne parisienne, disposent d’un exemplaire du CD-Rom, qu’elles mettent à la disposition des chercheurs.