ÉDITORIAL
Christian Meyer*
meyerchr@noos.fr
L'étude et la pratique des musiques médiévales a connu un essor prodigieux au cours de la seconde moitié du xxe siècle. À ce jour un grand nombre de livres liturgiques neumés des ixe, xe et xie siècles ont fait l'objet de reproductions en fac-similé ou de transcriptions diplomatiques. Les grands corpus de la musique polyphonique de l'École de Notre-Dame, de l'Ars nova et du xve siècle ont été édités dans des transcriptions en notation moderne. Un nombre impressionnant de traités et d'écrits sur la musique sont aujourd'hui disponibles dans de bonnes éditions critiques. Enfin de grandes entreprises d'inventaire et de catalogage, comme celles du Répertoire International des Sources musicales (depuis 1960) 1, du Census-Catalogue of Manuscript Sources of Polyphonic Music (1400-1550) (1979-1988, 5 vol.) ou du Répertoire de manuscrits médiévaux contenant des notations musicales (1965-1974, 3 vol.) ont contribué à donner une meilleure visibilité aux sources manuscrites. Ainsi, grâce aux efforts conjugués de plusieurs générations de chercheurs, la musique médiévale en tant que pratique, mais aussi en tant que science, est-elle aujourd'hui l'un des domaines de la culture artistique et scientifique du Moyen Âge les mieux documentés.
L'évolution au cours de ces dernières années, de l'outil informatique et des réseaux électroniques a tracé pour l'étude de la musique médiévale, comme pour bien d'autres domaines du champ médiéval 2, de nouvelles perspectives, notamment au plan des ressources documentaires. Toutefois, une première enquête des ressources disponibles sur la « Toile » est bien loin de combler les attentes du chercheur. En dépit de la multiplication des sites et des pages consacrées à la musique médiévale, rares sont ceux ou celles qui offrent une information pertinente, fiable et utile à l'avancement des travaux scientifiques. On écartera donc d'un trait la grande majorité des sites consacrés à la musique médiévale - sites conçus par des administrateurs d'ensembles musicaux ou issus d'initiatives individuelles ou associatives. L'internaute y trouvera des discographies, des annonces de concert mêlées de pages d'information hâtivement compilées par des attachés de presse plus ou moins avertis et destinées avant tout à servir de faire-valoir auprès de l'amateur de musique ancienne ou d'éventuels organisateurs de concerts. Ces sites sont aisément identifiables par leur extension «. com » ou «. org ».
Demeurent les sites initiés et hébergés par les établissements de l'enseignement supérieur ou de la recherche. Ces sites susceptibles d'intéresser le chercheur se réduisent pour l'instant à une demi-douzaine dont on trouvera ici une présentation sommaire. Il s'agit, pour l'essentiel, d'outils documentaires : répertoires de chants liturgiques (de la messe et de l'office) ; un inventaire de la musique polyphonique du xive siècle ; des traités de musique et un inventaire des sources manuscrites de la théorie de la musique. Ces ressources toutefois demeurent des outils fragiles, à l'utilisation parfois complexe et qui nécessitent souvent, de la part de l'utilisateur, une solide approche critique et une extrême vigilance.
Il n'existe pas à ce jour de moteur spécialisé dans les domaines de la musique et de la musicologie médiévale 3. Les meilleurs instruments à cet égard demeurent les moteurs destinés aux médiévistes comme argos (Limited Area Search of the Ancient and Medieval Internet, Evansville, IN : argos. evansville. edu/index. htm) ou ses sites associés (comme NetSERF ou The Labyrinth). Un moteur de recherche, spécialisé dans la musique comme http://www.dmamusic.org/musicwebhunter/index.html rendra toutefois d'excellents services. On consultera également avec profit les sites des Sociétés de Musicologie, notamment des sociétés françaises (http://www.sfm.culture.fr) et américaine (www.sas.upenn.edu/music/ams) qui offrent de nombreux liens ou d'autres sites « généralistes » dans le domaine des études médiévales comme Menestrel (http://www.ccr.jussieu.fr/urfist/omedirht.htm).
Mis à part tml et thema, les sites que nous avons identifiés ne présentent qu'une « autonomie » relative. Il s'agit pour l'essentiel d'index destinés à faciliter l'utilisation de textes publiés à ce jour sur des supports traditionnels ou d'ouvrages de référence. Cela tient sans doute, pour une bonne part, au poids des logiques commerciales, par exemple les droits de reproduction qui pèsent sur les éditions musicales, les revues et autres publications périodiques, mais aussi à l'inévitable confidentialité des travaux « académiques » des jeunes chercheurs.
Parmi les sites utiles au musicologue, deux retiennent plus particulièrement l'attention pour leur excellence et leur pluri-disciplinarité, puisque ces sites intéressent non seulement les musiciens, mais aussi, plus largement, les historiens de la culture scientifique du Moyen Âge. thema offre un corpus annoté de transcriptions de plusieurs traités de l'ars mensurabilis du xiiie siècle. Ce site, fort prometteur à sa création, a toutefois perdu de son intérêt sous l'effet de la concurrence du tml, créé sensiblement à la même époque. Ce dernier, l'un des sites les plus remarquables, présente en effet une édition électronique de la plupart des textes médiévaux relatifs à la musique. Ce site affiche au demeurant une volonté encyclopédique, à savoir la publication, pour un même traité, de toutes les éditions disponibles (dont les plus anciennes sont généralement « périmées » pour la recherche). On y trouvera ainsi l'ensemble des textes publiés naguère par Martin Gerbert dans ses Scriptores Medii Aevi (1784) et Ch. Edmond Coussemaker (1864-1876) dont la plupart ont désormais fait l'objet d'éditions critiques soigneusement établies. Cette surabondance d'éditions parallèles devient vite pour le lecteur une gêne plus qu'une aide. Mais c'est surtout l'absence de normalisation dans les autorités qui fait problème. Prenons l'exemple du Speculum musicae de Jacques de Liège. Les deux derniers livres de ce traité ont été publiés par Coussemaker, lequel, à la suite d'une mauvaise interprétation de l'explicit, avait attribué le texte à Jean de Murs. L'utilisateur du tml retrouvera donc ces deux livres du Speculum dans l'édition - au demeurant très fautive - de Coussemaker sous le nom de Jean de Murs. Mais il trouvera également l'ensemble du traité, sous le nom de Jacques de Liège, dans l'édition de référence du Corpus Scriptorum de Musica. L'utili-sateur non informé de la critique d'attribution du texte (au demeurant définitivement tranchée) aura par conséquent l'illusion d'être en présence de deux textes composés par deux auteurs différents. Ces erreurs d'attributions sont nombreuses pour les écrits des xe et xie siècle ; elles abondent pour les traités de musique mesurée et de contrepoint du xive siècle. On peut citer à titre d'exemple la collection de textes que l'utilisateur trouvera dans MURARSD TEXT déclaré comme « Author : Johannes de Muris - Title : Ars discantus » et correspondant aux pages 68-113 du tome 3 des Scriptorum de musica medii aevi de Coussemaker. Il s'agit, en l'occurrence, d'une compilation de douze textes publiés en effet par Coussemaker au titre de l'Ars discantus de Jean de Murs :
CONTR. Ad sc. artem (p. 68a-70a) ; CONTR. Quot sunt (p. 70a-74b) ; CONTR. Quot sunt spec. (p. 74b-75a) ; PS.-MUR. motet (p. 75a-92b) ; CONTR. Quicumque (p. 92b-93b) ; CONTR. Ad sciendum comp. (p. 93b-95a) ; PS.-MUR. prop. (p. 95a-99a) ; IOH. MUR. lib., cap. X (p. 99a ; ed. Berktold, Ars) ; PS.-MUR. mod. (p. 99a-102a) ; IOH. MUR. comp. (p. 102a-106a ; ed. CSM 17) ; PS.-MUR. arg. (p. 106a-109a) ; IOH. MUR. not., lib. II, cap. 8-14 (p. 109-113 ; ed. CSM)
La prudence éditoriale eut recommandé que ces textes fussent identifiés (et démarqués en tant que tels). Ils l'ont été depuis 1990 au moins. Le lecteur s'en convaincra en consultant la Clavis Coussemakeri publiée par Michael Bernhard 4. L'utilisateur trouvera au demeurant sur le site du Lexicon musicum Latinum (LML, http://www.badw.de/musik/e-text.htm) une concordance entre les éditions de référence du Lexicon musicum Latinum et les éditions électroniques disponibles sur le site du TML.
De nombreux outils documentaires demeurent encore confidentiels et bien souvent réservés à l'usage plus ou moins « privé » des laboratoires ou des instituts de recherches qui en assurent la gestion : ainsi la base de données du Lexicon musicum Latinum, qui nourrit le dictionnaire de même nom ; la Bibliografia Elettronica dei Trovatori ; la base IDAHMMAR, un outil prometteur pour l'histoire sociale et culturelle des pratiques musicales au Moyen Âge ; l'immense documentation des Renaissance Archives à l'université d'Urbana Champaign (Illinois) qui a servi à la publication des cinq volumes du Census Catalogue of Manuscript Sources of Polyphonic Music, 1400-1550 ou encore la base de donnée liée au programme RICERCAR développé par le Centre d'Études Supérieures de la Renaissance...
NOTES :
1 . Notamment les séries B III (The Theory of Music, 1961-), B IV (Manuscripts of Polyphonic Music, 1966-1972); Tropen- und Sequenzenhandschriften (0000); B XIV (Les Manuscrits du Processionnal, 2000-).
2 . Voir les dossiers des numéros 37 (Le texte médiéval sur INTERNET. Chercher et trouver) et 38 (Le texte médiéval sur internet. 2 Mettre des textes sur Internet) du Médiéviste et l'Ordinateur.
3 . www.yourdj.com (indexé un temps sur Ménestrel comme un moteur de recherche pour les « ressources musicales ») est une entreprise commerciale permettant de télécharger de la musique de « variété ».
4 . In Quellen und Studien zur Musiktheorie des Mittelalters, I (München : Verlag der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1990), p. 1-36.