Ce nouveau moyen de communication est aujourd’hui, bon gré, mal gré, incontournable. Dans quelle mesure participe-t-il au renouvellement des conditions du travail des médiévistes ?
L’e-mail a fêté ses 30 ans. Inventé par Ray Tomlinson en 1972, il est devenu inévitable en recherche médiévale comme dans tous les autres domaines. 85 % du temps passé sur Internet est consacré à l’e-mail. En 1997, aux États-Unis, les échanges électroniques ont pour la première fois dépassé le volume du courrier postal ; en 2005, on estime que 35 milliards de messages électroniques transiteront quotidiennement via le réseau. Chacun est conscient de l’enjeu : les entreprises qui préfèrent maintenant l’e-mail marketing à d’énormes investissements sur leur site Web, les fournisseurs d’accès qui s’ingénient à proposer des services de mail gratuit1 et de bons plans pour bien utiliser sa messagerie, l’Université et le CNRS qui en font déjà un sujet d’étude 2. Des sites Web s’intéressent aujourd’hui à ce nouveau média, comme Arobase.org 3 et Mailomanie 4. Rançon du succès et de son évolution rapide, derrière une apparence très conviviale, l’e-mail cache de nombreuses faiblesses : la prolifération des messages rendant le tri nécessaire, les courriels publicitaires intempestifs (ou spamming), les risques d’attaques de virus informatiques toujours plus grands, la confidentialité mise à rude épreuve quand on sait qu’un petit bout de code Javascript glissé dans le courrier peut servir de mouchard et permettre de suivre les messages réexpédiés par le destinataire. Par ailleurs, le mail migre vers d’autres supports que l’ordinateur (la télévision, la téléphonie mobile) et il est concurrencé par les mini-messages sur mobiles (SMS) et la messagerie instantanée (les pagers).
L’e-mail est un outil remarquable pour multiplier les relations et garder le contact, pour transmettre des documents de nature très différente, pour diffuser des informations pratiques et expédier les affaires courantes. Plus pratiquement, il permet de rester concentré sur une action, la rapidité et la densité des messages augmentant la concentration. Cela dit, l’e-mail rend-il des services spécifiques aux médiévistes ? Oui et non. Toutes ces fonctions et nouveautés n’intéressent pas professionnellement l’historien mais celui-ci peut tirer le plus grand parti de nombre d’entre elles. Il faut surtout souligner que les médiévistes ont très vite intégré ce nouveau mode de communication de telle sorte qu’aujourd’hui leur pratique de recherche en est significativement renouvelée. Partant de mon expérience personnelle, je mesure à quel point l’e-mail est un atout précieux pour le médiéviste et finalement le gage d’une meilleure efficacité. Trois exemples illustreront ce travail en réseau mieux qu’un exposé général ; l’e-mail peut être utilisé sur le plan individuel, en réseau ou pour nouer de nouveaux contacts entre chercheurs via les sites Web :
- la découverte et le traitement d’une nouvelle charte originale en quelques clics de messagerie : Un lecteur signale à un historien une charte inédite découverte dans un fonds supplémentaire d’une bibliothèque municipale. L’historien réexpédie l’information à des collègues diplomatistes qui fournissent l’un une copie de cet acte, l’autre des identifications de personnages concernés par cette charte de donation. Quelques mails ont suffi à compléter la documentation de quatre personnes et à ajouter un nouvel acte dans un corpus général, en l’occurrence la Base de données des chartes originales antérieures à 1121 de l’ARTEM. Cela aurait été certes possible « avant », sans la messagerie électronique, mais cela se serait-il fait ? Ou cela serait-il ici ou là à l’état de « bonne intention » de transmettre ? En fait, la communication par e-mail apparaît bien plus effective, moins « virtuelle » que la communication « à l’ancienne ».
- Ménestrel (http://www.ccr.jussieu.fr/urfist/mediev.htm) est un autre exemple, plus nettement structuré, du travail des médiévistes en réseau. Au départ d’Internet, chaque médiéviste assurait la veille Internet dans sa discipline, pour un résultat souvent médiocre et dispendieux en temps. En se constituant en réseau de messagerie, cette veille s’est organisée dans un répertoire critique spécialisé et a bénéficié d’une multiplicité de regards. En veillant sur sa discipline, l’internaute Ménestrel croise des informations relevant d’autres domaines et peut les transmettre immédiatement au responsable du domaine concerné ou aux webmestres. Ce principe d’échanges d’informations et de l’expédition systématique des messages à l’ensemble des participants est la meilleure garantie d’efficacité et de cohérence du projet.
- L’e-mail permet aussi une communication plus active entre chercheurs via les sites de laboratoires ou certains sites personnels. M’interrogeant au sujet d’un acte d’un maire du palais carolingien, j’ai pu facilement joindre Ingrid Heidrich par l’intermédiaire de son site5 qui fournit un contact pratique.
L’e-mail rapproche les chercheurs, il les amène à confronter plus souvent et plus facilement leurs opinions et leurs résultats. Au-delà d’une communication personnelle conviviale, d’un travail en réseau, d’une communication plus active entre chercheurs via les sites de laboratoires, l’atout majeur de l’e-mail demeure la spontanéité. Cette spontanéité de la réaction est précieuse. Je peux, par exemple, demander illico à un chercheur étranger la référence précise et la localisation d’un document difficilement identifiable depuis Nancy. J’obtiens une réponse qui peut être plus rapide qu’une requête compliquée dans un catalogue de bibliothèque ou d’éditeur. Mais je n’ai pas cherché, je suis sans doute passé à côté d’autres informations utiles. De la même façon, répondre aux demandes spontanées insuffisamment mûries peut prendre beaucoup de temps ; le tri et la mesure sont nécessaires. Sans doute est-ce là un défaut inhérent à la messagerie et à sa nouveauté ? Mais par ailleurs, que d’avantages ! Finalement, la recherche en histoire médiévale gagne beaucoup en efficacité, en agrément et en convivialité. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’e-mail transforme les situations, provoque l’événement scientifique, mais il y a un peu de cela. L’e-mail aurait-il une valeur performative ? Dans tous les cas, il reste un moyen de communication parfaitement adapté au rythme de notre vie moderne.