Le Médiéviste et l’ordinateur
Le Médiéviste et l’ordinateurHistoire médiévale, informatique et nouvelles technologies
n° 40 (Automne 2001) : La numérisation des manuscrits médiévaux
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Le CD-Rom Chartrier des Comtes de Namur : cas unique de numérisation d'un fonds de documents scellés conservé en Belgique

Emmanuel Bodart,
Historien ASBL Archéologie namuroise

c.duhaut@mrw.wallonie.be

En 1993, les Archives de l'État à Namur (Belgique) mirent sur pied, en collaboration avec plusieurs intervenants, le projet de numérisation du Chartrier des Comtes de Namur.

Il s'agit d'un ensemble de documents dont la grosse majorité fut réunie par les chefs de l'ancien comté de Namur, une principauté d'étendue modeste, mais qui joua un rôle important au bas Moyen Âge. De la fin du XIIe au début du XVe siècle, en effet, les comtes de Namur, qui étaient apparentés aux grandes familles régnantes de l'époque, déployèrent leur activité sur les théâtres les plus divers, entretinrent des relations avec de nombreux princes lotharingiens et souverains étrangers et exercèrent, dans certains cas, une influence directe sur les événements de leur temps. Le chartrier contient de ce fait une quantité de pièces dont l'intérêt dépasse très largement le cadre namurois.

Le traitement des sceaux du chartrier fut un des points fondamentaux de la démarche. En effet, Daniel Van Overstraeten, conservateur des archives de l'État à Namur, constatait alors le nombre croissant de lecteurs intéressés par le fonds. Des chercheurs de nombreux pays, ainsi que les étudiants des universités belges y trouvaient tant une possibilité d'apprentissage de la diplomatique du bas Moyen Âge qu'une source intarissable d'informations sur la politique des princes, autant dans le comté de Namur qu'en Europe, du XIIIe au XVe siècle.

Le chartrier des comtes de Namur comporte 1 365 pièces matérielles dont 1 005 encore munies de sceaux. Chacun sait que la manipulation de tels documents scellés provoque parfois des détériorations irréparables du fait de la fragilité du support. L'accroissement de la consultation, l'une des missions fondamentales des archives de l'État de Belgique, allait à l'encontre d'un autre objectif primordial de cette institution, à savoir la conservation.

En concertation avec Hugues de Suraÿ, membre du cabinet du ministre de la Région wallonne de Belgique ayant en charge les nouvelles technologies et grand amateur d'archives, le conservateur émit l'idée de numériser les documents du chartrier en les accompagnant de données textuelles actualisant l'ancien inventaire du XIXe siècle de Charles Piot, dépassé à bien des égards.

Au vu des possibilités techniques en 1993, la décision fut prise de financer la fabrication d'un CD-Rom qui devait permettre de donner connaissance aux chercheurs du contenu de ce fonds prestigieux tout en évitant les manipulations malheureuses. L'objectif était donc de fournir suffisamment d'informations et d'offrir une possibilité de lecture des documents sur support informatique.

La place mémoire disponible en 1993 sur un CD-Rom par rapport aux possibilités actuelles contraignit très vite l'équipe constituée à « se contenter » de fournir les images des 1 005 documents scellés tout en constituant des bases données textuelles complètes pour l'ensemble du fonds. Préserver au mieux les sceaux était donc la principale motivation archivistique du projet.

Au niveau du volet images, une équipe de trois jeunes photographes fut chargée de prendre des diapositives de tous les documents scellés. Ils réalisèrent ainsi pour chaque pièce traitée une photo d'ensemble, des photos de détail permettant de lire le document suivant un découpage commandé par moi-même, des photos des notes dorsales et enfin une photo de chaque sceau conservé, ainsi que du contre-sceau lorsqu'une telle marque est présente.

Le choix du support photographique permettait de constituer une collection de 10 511 diapos, dont 2 376 vues de sceaux et 505 vues de contre-sceaux, conservée aux Archives de l'État à Namur.

En ce qui concerne les sceaux, on peut évidemment douter après coup de la pertinence de cette option. D'une part, les photographes eurent parfois d'énormes difficultés à choisir l'éclairage idéal. D'autre part, la digitalisation de diapos présente à l'écran une image relativement petite, qui, si elle est agrandie, perd très vite sa netteté. Actuellement, étant donné l'évolution technologique, il faudrait plutôt opter pour une prise de vue par caméra ou appareil photo numérique dont le rendu sur écran est d'une qualité très satisfaisante.

Néanmoins, les images du CD-Rom sont finalement bien lisibles et leur relative imperfection est largement compensée par l'analyse scientifique qui les accompagne.

La numérisation des diapos fut entreprise par la société d'ingénierie informatique Stesud, implantée à Marche en Famenne (Belgique), utilisant un logiciel de pointe à l'époque, Photostyler, développé par la firme Kodak. Il est clair aussi que le progrès des scanners et des logiciels actuellement disponibles sur le marché permettrait une amélioration de la qualité du traitement. Le rendu sur écran est néanmoins de qualité et reste tout à fait utilisable par les chercheurs intéressés.

Cette firme informatique fut également chargée de lier entre elles les bases de données textuelles et images afin d'obtenir un logiciel exploitable. La présentation finale fut, elle, le fait d'un infographiste lié à Pact Belgium, cellule belge du Réseau européen de coopération scientifique et technique appliquée au patrimoine culturel.

Pour constituer les bases de données textuelles, un groupe de travail constitué d'archivistes et d'informaticiens établit deux fiches types, permettant d'uniformiser les informations accompagnant les documents photographiés ou non du chartrier. La fiche fondamentale du projet se rapporte aux éléments descriptifs de la charte, la fiche secondaire se concentre sur l'aspect proprement sigillographique.

La fiche signalétique charte (fig. 1) comporte des données relatives au contenu textuel (auteur, lieu d'expédition, date ou période, langue, analyse résumant le contenu), des éléments d'ordre matériel (dimensions, support, état de conservation), des éléments relevant de la diplomatique (nombre de sceaux, contre-sceaux ou sceaux doubles, seing manuel, signature ou légende, notes dorsales) et des données bibliographiques antérieures à 1994 (édition ou mention du document).

La rubrique « structure sceaux et contre-sceaux » devait permettre par le remplissage des cases de préciser la position de l'empreinte telle qu'elle devait apparaître à l'écran. Dans le logiciel, l'écran charte comporte une image d'ensemble du document en dessous de laquelle est indiqué le nombre de sceaux encore présents et ayant fait l'objet d'une photo ou d'une description. En cliquant sur une de ces représentations de sceaux ou de contre-sceaux, on accède à l'écran correspondant.

Les données sigillographiques entourant les images de sceaux ont été fournies par René Laurent, des Archives générales du Royaume, grand spécialiste belge de sigillographie. Celui-ci a lui-même rempli les fiches (fig. 2). Le raccord avec les images et la fiche charte se fait par le biais des indications du haut de la fiche (n° de la charte et position du sceau).

La description qui suit est tout à fait classique. On identifie le sigillant, sa fonction. Ensuite, on fait part de tous les éléments relatifs àla configuration de l'empreinte : la matière utilisée, la couleur et le mode d'apposition, les dimensions, la forme, la légende ainsi que la description sommaire.

On notera aussi le renvoi à la collection des moulages conservés aux Archives générales du Royaume, à Bruxelles, collection réalisée dans des ateliers qui ont depuis 1994 malheureusement disparu dans le cadre de la restructuration de l'institution.

Sur les écrans sceau et contre-sceau, en plus de l'image, le chercheur dispose des données de la base constituée par R. Laurent dans la partie supérieure et dans la partie droite de l'écran. Les boutons situés à gauche permettent la manipulation des images de sceaux d'une même charte. On peut agrandir l'image, passer au sceau suivant de la charte ou au contre-sceau si celui-ci existe.

Initialement, le contenu des fiches « sceaux » ne devait pas servir de clé de recherche pour accéder au document. Finalement, en concertation avec la firme informatique, on choisit de présenter sur l'écran critères de recherche une possibilité de consulter le nom de tous les sigillants dont la marque est décrite dans le logiciel. En cliquant sur le nom intéressant le chercheur, on peut alors accéder au document comprenant ce sceau.

Pour des entreprises similaires, on pourrait effectivement élaborer des index également à partir du contenu sigillographique des fonds numérisés afin de rendre l'accès plus aisé aux spécialistes de la discipline. Dans le cadre du projet qui nous occupe, ce n'était pas l'objectif fondamental. La clé de recherche principale était le document, la charte dans son ensemble.

Une fois les fiches chartes et sceaux remplies, la firme informatique entreprit l'encodage des données parallèlement à la digitalisation des images.

Un énorme travail de vérification devait ensuite être entamé. En effet, les encodeurs n'étaient pas habitués au langage archivistique, diplomatique et sigillographique. Les informaticiens qui numérisèrent les images ne connaissaient rien aux chartes et aux sceaux. Énormément d'erreurs textuelles et de traitement d'images furent donc constatées. Ma tâche fut alors de vérifier et de corriger directement l'ensemble. Il fallait relire et compléter les données textuelles, vérifier la qualité de l'image et sa conformité, contrôler la conformité du nom de chaque fichier numérisé afin qu'il se raccroche effectivement au volet descriptif du document.

Ce travail considérable aurait pu être réduit si l'on avait donné la possibilité à R. Laurent et à moi-même d'encoder nous-mêmes les données descriptives et si j'avais pu assister au travail de numérisation des images. Je pense que la firme Stesud a fondamentalement sous-estimé l'importance de ce travail, certes de routine, mais capital pour la bonne réalisation du projet.

Le point faible de l'élaboration du CD-Rom était, à mon avis, la dispersion des équipes constituées. À l'avenir, afin de réduire les coûts et la perte de temps, je pense que de telles démarches doivent être confiées à des équipes intégrées au sein même des institutions commanditaires.

Nous venons de voir que la réalisation du CD-Rom Chartrier des Comtes de Namur comportait un volet sigillographique très important et très complet, si ce n'est du point de vue des critères de recherche du logiciel. Un tel traitement informatique des sceaux est, de l'avis même de R. Laurent, une solution très satisfaisante de conservation des sceaux et de diffusion des connaissances sigillographiques.

Une fois l'image numérisée grâce aux moyens technologiques actuels et la description scientifique réalisée, en gardant, sauf pour les collections de sceaux détachés, le lien au document justifiant l'apposition du sceau, on diminue les risques de détérioration en supprimant les manipulations. Par cette démarche, on multiplie également les possibilités de diffusion de ces informations, à condition d'opter pour une stratégie adéquate, en s'orientant, pourquoi pas, vers les solutions offertes par le réseau Internet. Le projet qui nous occupe a particulièrement souffert de l'absence de stratégie de diffusion.

Le CD-Rom Chartrier des comtes de Namur existe bel et bien aujourd'hui. Il est le résultat d'une démarche novatrice pour l'époque et comporte, malgré ce caractère pionnier, un minimum d'erreurs. Une collection remarquable de sceaux a fait l'objet d'un traitement informatique poussé offrant à l'utilisateur une description scientifique précise de chaque empreinte conservée sans la couper de l'environnement qui a justifié son apposition, à savoir la charte, traitée de la même façon.

On ne devrait donc plus, aujourd'hui, recourir au document original pour étudier les sceaux du chartrier. Et pourtant, il n'est pas possible de procéder autrement. Même dans le dépôt de Namur, le CD-Rom n'est pas disponible en salle de lecture. Aucun dépôt d'archives de l'État n'offre à ses lecteurs la possibilité d'utiliser le logiciel. Par ailleurs, le prix prohibitif demandé et le décès inopiné de Tony Hackens, cheville ouvrière de Pact Belgium, qui devait s'occuper de la vente du CD-Rom ont rendu la diffusion du produit pratiquement inexistante. Tant et si bien que cet outil exceptionnel (on n'en connaît pas d'autres en Belgique) ne sert actuellement qu'à un nombre excessivement restreint de chercheurs. Toutes les publications nouvelles faisant mention du chartrier se rapportent encore et toujours à l'ancien inventaire de Piot.

Pour remédier à cette situation, le prix du logiciel vient d'être considérablement abaissé. Afin de relancer l'intérêt des chercheurs, D. Van Overstraeten, R. Laurent et moi-même envisageons de publier sur support papier tant l'inventaire actualisé et les descriptions sigillographiques qu'une série de transcriptions de documents destinés à accompagner le CD-Rom et à le rendre plus attractif.

Espérons que cette tentative de sauvetage puisse aboutir dans les plus brefs délais, car la qualité du travail fourni, même dépassée du point de vue technologique, ne peut être remise en cause au niveau archivistique, diplomatique et sigillographique.

Fig. 1 : fiche signalétique charte

Stesud FICHE SIGNALÉTIQUE CHARTE

Chartrier des Comtes de Namur N° réf. (cote) : ...... Nombre d'images composant la largeur :

Auteur(s) : Lieu :

Date : _ _ / _ _ / _ _ _ _ Période : _ _ / _ _ / _ _ _ _ Date actuelle : O / N
_ _ / _ _ / _ _ _ _

Dimensions : H _ _ _ _ mm X L _ _ _ _ mm
Particularités :

Structure sceaux

      contre-sceaux

Langue : Latin Roman Thiois
Original Copie Vidimus

Acte vidimé n° de renvoi

Original transfixé n° de renvoi

Support : Parchemin Papier

Seing manuel Signature Image associée O / N

Notes dorsales O / N Image associée O / N

État de conservation : 1 2 3 4 Légende O / N

Images supplémentaires :

Commentaires : Édité : O / N

Références bibliographiques :

Stade de traitement :

 

Fig. 2 : fiche signalétique des sceaux et contre-sceaux

Stesud FICHE SIGNALÉTIQUE DES SCEAUX ET CONTRE-SCEAUX

Chartrier des Comtes de Namur charte de réfèrence n° Position du sceau : ... Disparu

Nom du personnage ou de l'institution :

Qualité ou fonction

Matière : Cire Plomb

Couleur : Vert Vierge Brun Rouge Autre

Mode d'apposition : DQ SQ LS CC Plaqué

Sceau : Contre-sceau : O / N

Réf. n° de moulage : Réf. n° de moulage :

Dimensions : O _ _ _ _ mm Dimensions : O _ _ _ _ mm
H _ _ _ _ mm x L _ _ _ _ mm H _ _ _ _ mm

Forme : Forme :

Type : Type :

Description : Description :

Légende : Légende :

Commentaires : Commentaires :

Références biblio. : Édité O / N Références biblio. : Édité O / N

Stade de traitement :

 

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