Le Médiéviste et l’ordinateur
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N° 44, 2006 : Les Systèmes d’information géographique

Un Système d’Information Géographique pour l’étude du Grand Schisme en Gascogne

Auteurs

Hugues Labarthe
hugueslabarthe@club-internet.fr
Université de Toulouse-II-Le-Mirail

Citer cet artcile

Hugues Labarthe, « Un Système d’Information Géographique pour l’étude du Grand Schisme en Gascogne (1378-1417) », Le Médiéviste et l’ordinateur, 44, 2006 (Les systèmes d’information géographique) [En ligne] http://lemo.irht.cnrs.fr/44/grand-schisme-gascogne.htm

Mots clés

projet SIG, Grand Schisme d’Occident, obédiences, bénéfices

Keywords

GIS, Great Schism, Benefices, Obediences

Résumé

La simple nécessité de croiser des couches thématiques d’informations géographiques sur le partage entre obédiences princières et pontificales à l’époque du Grand Schisme en Gascogne m’a conduit à utiliser le logiciel Arcview. Or ce logiciel me permet aussi d’analyser la dimension géographique de ma base de données sur la population bénéficiale à l’époque du Grand Schisme, une voie jusqu’ici inexplorée. Construire ces problématiques en me familiarisant avec l’outil SIG m’a conduit à définir très précisément une politique de dépouillement des sources pontificales de manière à élaborer, au terme de ce dépouillement, un SIG, au sens propre du terme.

Abstract

I was led to use the GIS Software Arcview in order to intersect thematic layers with geographical information about the split of the medieval Ecclesia into conflicting political and papal obediences at the time of the Great Schism in Gascony. With this software, it is also possible to analyse the geographical dimension of my database on the ecclesiastical population in a way which has not been explored so far. Elaborating historical problems and practising the GIS tool has led me to define a project to sift through sources. My final objective is to set up a GIS.

Article

Pour gérer la complexité d’une cartographie des obédiences pontificales en Gascogne, à l’époque du Grand Schisme d’Occident (1378-1417), j’ai choisi d’élaborer une base de données à partir de laquelle mémoriser, analyser et représenter automatiquement les informations issues de mes dépouillements. Je dispose ainsi d’une application qui me permet aussi d’interroger les effets du partage entre obédiences sur l’organisation de l’espace bénéficial.

L’étude du partage entre obédiences en Gascogne nécessite de croiser des informations géographiques. Les obédiences princières sont extrapolées sous forme d’objets surfaciques à partir des travaux de cartographie historique existants et de contrôles dans les sources conservées (principalement les Gascon Rolls, conservés au Public Record Office à Kew). Les obédiences pontificales sont établies à l’échelle des établissements ecclésiastiques, à partir d’une édition électronique des lettres pontificales et suppliques relatives à la Gascogne (Archivio Segreto Vaticano, Registres de Suppliques 47-104, Registres du Latran 1-205, Registres du Vatican 291-359, Registres d’Avignon 205-349). L’échelle de précision à laquelle j’essaie de parvenir est celle des communautés paroissiales.

La conception de la base Access découle, d’une part, de l’absolue nécessité de garantir la traçabilité et, d’autre part, des enjeux prosopographiques et topographiques, d’où son fonctionnement sur trois clés : une clé primaire conduisant de l’information à sa source ; et deux autres clés, l’une prosopographique, l’autre topographique, permettant de mobiliser l’ensemble des informations de la base en lien avec un individu ou avec un lieu (voir annexe 5). La principale difficulté consiste à localiser les informations. Lorsque l’identification des lieux cités ne pose aucun problème, je leur assigne le code INSEE des communes sur lesquelles ils se situent (voir annexe 6).

Annexe 6 : Avancement de l’identification des enregistrements de la table ‘Relations à l’espace bénéficial’.

Nombre total d’enregistrements

6744

Bénéfices localisés dans un diocèse

6333

Bénéfices localisés dans un établissement précis

4695

Bénéfices localisés dans un diocèse de Gascogne

4673

Bénéfices localisés dans un établ. de Gascogne

3447

Restent à localiser

1226

Le premier objectif assigné à cette application est de tester l’hypothèse d’un partage territorial des obédiences pontificales, sur la base du modèle reconnu par les contemporains du schisme : « à chaque prince, son obédience ». Le modèle (voir annexe 1) propose d'imaginer, sur le canevas des mouvances, les partages entre obédiences pontificales rivales. Ces partages fonctionnent autour de trois clivages successifs. Le premier, concernant l'ensemble de la Gascogne sur la période 1378-1408, consiste à opposer obédiences d'Avignon et de Rome. Seuls les territoires placés sous l'obédience du roi d'Angleterre seraient d'obédience romaine. Un second clivage, propre à l'obédience d'Avignon, oppose, lors des périodes dites de soustraction (1398-1403) et de neutralité (1406-1408), les territoires dans lesquels l'obéissance à Benoît XIII est suspendue, à ceux dans lesquels elle se prolonge (Béarn, Aragon, Navarre, Castille). Le troisième clivage consiste à opposer les territoires dont le prince reste fidèle à Benoît XIII (Béarn et Navarre jusqu'en 1416, Armagnac jusque dans les années 1420) aux territoires dont le prince (les rois de France et Angleterre notamment) a rejoint le processus de réunification de la Chrétienté, commencé au concile de Pise (1409) et conclu à Constance avec l'élection de Martin V (1417).

Dans les faits, le modèle est opératoire. Les sources intéressant princes et prélats en témoignent, qu’il s’agisse des mandements royaux dirigés contre les schismatiques ou de la promotion, dans chaque diocèse confronté au partage, de prélats rivaux. On peut s’interroger cependant sur les limites d’une telle documentation et considérer que le fonctionnement de la société politique d’alors ne ressortit pas seulement à l’autorité du prince. Certainement le maillage des châtellenies, bailliages et jugeries assoit-il mieux son rôle dans le gouvernement territorial. Le prince s’appuie encore sur les réseaux informels, dont rendent compte, entre autres, les rotuli présentés à la cour pontificale en vue de l’obtention de bénéfices pour la clientèle cléricale. Au-delà de la logique territoriale, les relations interpersonnelles sont ainsi une autre clé d’explication pour rendre compte des successifs partages entre obédiences pontificales. Un rapide examen de l’annexe 2 laisse apparaître une forte corrélation entre territoires princiers et distribution géographique des clientèles des Foix-Béarn et des Armagnac. Les clercs détenteurs de bénéfices, présents sur les rotuli de ces parentèles, sont pour la plupart localisés dans les États de leur prince. Ceux des Foix-Béarn possessionnés dans le duché d’Aquitaine et présentés à Clément VII et/ou Benoît XIII, papes d’Avignon, constituent autant de résidus au modèle « un prince : un pape ». La logique territoriale ne saurait donc suffire à rendre compte du partage entre obédiences rivales.

Faisons le point sur ces résidus en focalisant l’attention sur le premier clivage cité, entre obédiences de Rome et d’Avignon, de 1378 jusqu’en 1409 (voir annexe 3). Je n’exploite ici, parmi les deux types de sources nous informant sur l’obédience des acteurs locaux, actes notariés et lettres pontificales, que ces dernières. Encore n’ai-je dépouillé qu’un dixième des registres conservés. Gardons en mémoire que les informations figurées ne constituent que des traces conservées, et ne peuvent donner lieu à des rapports. Il apparaît cependant très clairement que le partage entre obédiences, dans le contexte géopolitique gascon, obéit à des logiques fort différentes. Je n’ai pu mettre à jour une seule fidélité pontificale inverse à celle du prince en Béarn, alors même qu’elles sont légion dans le duché d’Aquitaine. Encore faudrait-il faire la distinction entre les obédiences datées de 1378, qui pourraient être accidentelles, et celles postérieures aux années 1390, qui traduiraient un engagement réel. Ainsi l’écriture des requêtes pour l’extraction des données doit-elle être plus exigeante en matière de modalités spatio-temporelles. Viendra alors le temps de l’enquête biographique et de l’étude monographique pour épaissir le dossier des résidus.

Le second objectif vise à mesurer les effets de ce partage entre obédiences rivales sur le fonctionnement de l’institution ecclésiale à l’échelle de la Gascogne. Ici je fais appel au logiciel ArcView pour explorer la base de données Access grâce à ses fonctionnalités de cartographie statistique.

À partir du moment où les deux papes rivaux s’anathématisent réciproquement, toute relation institutionnelle entre les établissements ecclésiastiques d’obédiences adverses (Rome vs. Avignon, Benoît XIII vs. soustraction et neutralité, Benoît XIII vs. Pise) a cessé. S’agissant de l’exécution des lettres apostoliques délivrées à Rome ou en Avignon, l’autorité des référents locaux, officiers épiscopaux, abbés, dignitaires et chanoines, se redéploie sur un espace bénéficial clivé. De même, les grands traits de la mobilité géographique de la population bénéficiale se recomposent. Ce sont les évolutions de ces aspects structurels de la vie de l’institution ecclésiale, et leurs conséquences sociales, que je souhaiterais saisir. Je ne disposerai jamais que d’informations concernant une faible partie de la population bénéficiale. Des images d’une population dont la variation des contours, en fonction des diocèses et des périodes, rendra les comparaisons délicates. Mais, au final, un corpus exprimant, dans ses fluctuations spatio-temporelles, l’évolution du lien des Églises au chef de l’Église. Verra-t-on, comme ailleurs, une forte chute des interventions pontificales au profit des ordinaires et des libertés locales ? Ou, au contraire, la proximité de l’Université toulousaine et la figure même du cardinal Uguccione à Bordeaux ont-elles fait de cette contrée une manne bénéficiale pour des papautés aux abois ?

Quelle est la situation de départ ? En attendant de disposer de données sérielles intéressant simultanément les deux obédiences d’Avignon et de Rome, j’ai essayé d’appliquer cette grille d’interrogation au corpus de lettres des quatre premières années du pontificat de Grégoire XI (1371-1378) publiées par les soins de A.-M. Hayez, J. Mathieu, M.-F. Yvan. J’en propose ici une première lecture (annexe 4) sur la base d’un dépouillement avancé. À la veille du Grand Schisme et du partage de l’espace bénéficial gascon en obédiences rivales, ce sont les dignitaires et chanoines des cités de Bordeaux et Toulouse, dans une moindre mesure ceux d’Agen et d’Auch, qui sont les plus sollicités. Cela s’explique en partie par le fait que l’un des trois exécuteurs de chaque bulle délivrée est nécessairement curialiste : or, il s’en trouve de nombreux, traditionnellement, dans les chapitres de ces cités. L’ampleur du rayon d’action de ces cités n’est qu’une traduction simplifiée de la carte en oursins obtenue par affichage de tous les liens entre, d’une part, l’ensemble des établissements ecclésiastiques concernés par une provision bénéficiale, et, d’autre part, les quatre cités susdites, où sont bénéficiés les exécuteurs choisis par l’impétrant. Dans cette figuration, la variation d’intensité des liens entre cités et espace bénéficial est occultée. Surtout, ce sont les réseaux alternatifs qui nous échappent. J’ai essayé de les rendre par des liens de couleur noire. Ici encore, les corrélations sont fortes entre rayonnement des exécuteurs pontificaux et géographie politique. Comment évoluent ces relations ? Le dépouillement des registres de Boniface IX pour les années 1390-1394 permet d’avancer l’idée d’un renforcement de l’axe Bordeaux-Dax-Bayonne tandis que l’abbé de Sorde joue un rôle nouveau de Bayonne en Lavedan. Qu’en est-il dans l’obédience avignonnaise ? Le choix des impétrants est-il fonction de la ligne de conduite de ces exécuteurs face à la crise de l’Église ?

La simple nécessité de croiser des couches thématiques d’informations géographiques sur le partage entre obédiences princières et pontificales m’a conduit à utiliser le logiciel Arcview. Or ce logiciel me permet aussi d’analyser la dimension géographique des informations qui caractérisent la population bénéficiale à l’époque du Grand Schisme, une voie jusqu’ici inexplorée. Construire ces problématiques en me familiarisant à l’outil SIG m’a conduit à redéfinir ma politique de dépouillement des sources pontificales de manière à élaborer, au terme de ce dépouillement, un SIG, au sens propre du terme. Au final, le SIG sera l’outil d’une géographie historique renouvelée pour la réalisation d’une géographie rétrospective