Le Médiéviste et l’ordinateur
Le Médiéviste et l’ordinateurHistoire médiévale, informatique et nouvelles technologies
n° 41 (Hiver 2002) : L’apport cognitif

Editorial

Cognitif, ive adj. – xive ; lat : cognitum, de cognoscere « connaître ». didact. Capable de connaître ou qui concerne la connaissance. Sciences cognitives : ensemble des sciences qui concernent la connaissances et ses processus (psychologie, linguistique, neurobiologie, logique, informatique). Extr. Petit Robert, voir autres définitions  [1] .

L’informatique sert-elle à quelque chose ? Comment le médiéviste l’utilise-t-il ? En quoi l’outil a-t-il modifié la pratique des médiévistes ? Comment en avons-nous parlé ? Quels sont les apports cognitifs de l’ordinateur, ce dernier a-t-il influé sur les processus de la connaissance ou la méthodologie des médiévistes ? Voici quelques-unes des questions que nous nous sommes posées en mettant au point ce numéro. De cette ambitieuse problématique résulte un ensemble d’une grande diversité. Nous sommes à la fois hors et dans le sujet. Les temps sont mûrs pour cette réflexion et nous trouvent prisonniers des habitudes, incertains face à l’avenir. Paradoxalement, du moins en apparence, ce sujet « dans l’air du temps » [2] s’ouvre sur des lectures rétrospectives du Médiéviste, la mue n’est en effet possible qu’après une lecture lente des écrits antérieurs, le « Tryptique » de Christine Ducourtieux illustre cette attitude réflexive qui annonce la nécessaire évolution de la revue. Le passé est riche et mérite d’être mis en lumière, sa connaissance incite également à rompre avec un mode de fonctionnement devenu familier mais désormais inadéquat face aux évolutions induites par l’usage de l’ordinateur. Le Médiéviste et l’ordinateur deviendra une revue électronique [3], dont les formes sont à inventer, car le passage d’un support à un autre ne doit pas, comme nous l’a appris l’expérience, être alibi de « nouveauté » mais inventif et innovant, autrement dit donner naissance à d’autres représentations de nos connaissances. L’article de Marie-Hélène Antoni offre une illustration parfaite de réalisations soucieuses de ces nouveaux enjeux. Le dynamisme de la relation intellectuelle entre l’outil et le chercheur est désormais tempéré, déshabillé de l’illusion de la machine-homme, les acteurs savent maintenant leurs rôles et Basir Amiri l’exprime avec justesse : s’approprier un outil pour en faire un complice implique une réflexion critique que chaque chercheur doit refaire pour lui-même. Même mesure et pragmatisme dans les communications de Laurent Letellier, Eugenio Staltari, Michael Gervers, Anna Mette Hansen et Jean-Philippe Genet. Ces projets, ces réalisations autour des textes, des objets, des bases de données sont autant d’occasions de s’interroger sur la pérennité des supports, la pertinence de ces techniques : nourrir le savoir historique est la seule finalité légitime de ces expériences. Dans ces textes, le rapport cognitif se dit sans se clamer, la réflexion théorique s’articule autour de la pratique. Ce numéro se clôt sur des voix de non médiévistes qui incitent à réfléchir sur la formation des historiens. Le temps du logiciel miracle, du presse-bouton est révolu et Alain Dallo enseignant en Histoire et Informatique en tire la leçon : il s’agit bien d’enseigner et non de traduire des modes d’emploi. Jean-Claude Berges, informaticien et climatologue, montre combien les nouvelles technologies donnent à voir les processus d’élaboration de la production scientifique et que c’est peut-être là dans cette mise à nu des processus que gît la véritable « révolution » Internet…

Ce numéro dans ses tâtonnements, ses imperfections comme dans ses exigences utopiques — l’apport cognitif est une bien grande question ! — témoigne de la vigueur de la réflexion mais également de ses limites. Nous discernons certes une évolution : de la notion d’outil servant à prolonger la main, à savoir reproduire en automatisant et en optimisant les pratiques traditionnelles du métier d’historien, nous sommes passés à la perception lente de possibilités spécifiques à l’outil lui-même pour construire de nouvelles problématiques (en particulier dans la gestion quantitative des données, la reconstitution de séries discontinues etc.) et à la constitution de nouvelles règles d’interprétation des nouveaux produits résultant du traitement informatisé. L’apport cognitif est indéniable même s’il reste difficile à mesurer.

Nous avons également quelques certitudes. L’usage de l’ordinateur pour le traitement des données impliquait, dans les premiers temps, une formalisation spécifique pour chaque type de données et aboutissait immanquablement à une standardisation taxinomique qui appauvrissait la trace, nous sommes maintenant dans un système « brut » qui lui garde tout son suc : on ne perd plus — ou beaucoup moins — d’information ; or cela était — et reste — une des critiques les plus courantes faite au « traitement informatique ». Nous pouvons affirmer qu’elle n’a vraiment plus lieu d’être !

L’informatique est donc devenue un mode de réflexion — aller et venir méthodologique et herméneutique. Elle ne peut pas être un mode de pensée de la construction historique qui reste à la seule intelligence rationnelle. Nous hésitons encore entre « se servir et s’en servir » et notre questionnement pourrait être synthétisé par cette formule :

Faire avec l’outil informatique

Faire grâce à l’informatique

Où est la juste cause ?



[1]http://psychobiologie.ouvaton.org/glossaire/p06.2-frameglossaire.htm
ou encore Sémantique historique et cognition de Marco Bischofsberger
http://www.revue-texto.net/Inedits/Bischofsberger.html

[2]. Pointeurs utiles en Sciences Cognitives
http://www.ehess.fr/centres/lscp/pointeur.html

[3]. Le numéro suivant sera un numéro « classique » sur une des disciplines constituant l’histoire médiévale, la diplomatique mais nous prévoyons ensuite de travailler sur l’édition et la communication électronique et de prendre comme premier champ d’application la revue elle-même, sa forme pourrait être renouvelée…


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